La Grande Galerie du Foot — Grande halle de La Villette
Du 5 juin au 10 juillet, la Villette fête le championnat d’Europe de football en proposant une exposition dédiée au ballon rond. Un projet ludique et vraiment immersif qui parvient à dépasser le simple spectacle pour offrir une exposition ouverte et pointue.
« La Grande Galerie du Foot », La Villette du 5 juin au 10 juillet 2016. En savoir plus Reprenant les canons de l’exposition classique des Beaux-Arts avec un dispositif qui fait écho à la Grande Galerie du Louvre, une plateforme de sculptures enserrée au cœur de cimaises surmontées d’œuvre sur picturales, La Grande Galerie du Foot explore le thème du football tout en questionnant le reflet symbolique et mythologique de ce jeu sur l’imaginaire social. En ce sens, le football devient ici le vecteur de visions d’un monde qui, du Nord au Sud, partage un vocabulaire, une esthétique et des règles communs.Avec une exigence et un goût certains, le commissariat de Jean-Max Colard évite le piège de l’exposition catalogue autour de sa thématique pour concentrer son choix sur des propositions fortes et singulières, à l’image des œuvres d’Iris Van Dongen, deux portraits de femmes habillées aux couleurs d’un club de football dont les couleurs mêmes renvoient à une histoire de la contestation sociale, à un engagement politique radical dont le football continue d’honorer le souvenir.
Si les exemples d’artistes ayant utilisé le football dans leurs œuvres ne manquent pas, on sent ici la volonté d’envisager le sport et son cortège de représentation comme un moyen de revisiter également l’histoire de l’art, notamment à travers l’installation de Nøne Football Club, qui introduit sur le terrain, avec la complicité du footballeur Djibril Cissé, la tonsure étoilée de Marcel Duchamp immortalisée en 1919 par Man Ray. Une mise en perspective joyeuse et profonde autour de la question de la perception et de la propension du geste artistique à expérimenter de nouvelles voies de « médiatisation ». Mais on peut penser également au projet de Guillaume Bresson à la gloire du club de football Red Star, qui immortalise, dans une structure apparentée aux polyptyques religieux, ces catalyseurs de rêves et de frustration que sont les joueurs de football.
Dans un autre registre, Fahd El Jaoudi s’empare de l’image célèbre du joueur de foot Patrick Battiston, étendu inconscient aux pieds du gardien de but allemand Harald Schumacher suite à leur collision lors de la demi-finale du mondial 1982 pour offrir un montage complexe appuyant sur l’aspect traumatique de ce souvenir pour les amateurs de football. Dans ses panneaux, l’image se distord, révèle et cache les détails pour figer dans le temps cet épisode, jouant de la force iconique et de la dimension sacrificielle de ces corps à l’agonie qui, une fois épuisés, se voient rejetés hors de la pelouse pour que le match se poursuive.
Enfin, en choisissant de diffuser en sous-sol le fameux Zidane de Philippe Parreno et Douglas Gordon au sous-sol, ce portrait tourné en temps réel lors d’un match, l’exposition ouvre une brèche et une plongée dans la réalité de la compétition où l’action est loin d’être la dimension principal. Le sportif y exprime un saisissant langage du corps, une intelligence du mouvement où chaque seconde devient une attitude, le geste d’un être prêt à surgir, à capturer cette chance, si infime qu’elle soit, de participer au jeu. C’est peut-être ici une des plus belles visions du sport et, par extension, de la notion de concentration réalisée dans l’art que cette tension perpétuelle où l’essentiel ne se joue pas dans ce que le spectateur perçoit mais dans l’exercice du sportif et sa tenue « à disposition », prêt à accueillir l’événement quelle que soit sa forme, quelle que soit sa nature.
Le parcours proposé à la grande halle de La Villette réussit ainsi l’équilibre précieux entre accessibilité d’une thématique grand public et richesse de niveaux d’interprétation d’œuvres qui s’appuient sur ce véritable héritage culturel qu’est le football pour dessiner les contours d’une exposition véritablement populaire. Un pari loin d’être évident qui témoigne d’un engagement certain de l’institution et rend par là un hommage mérité aux artistes, mais plus encore au football, qui se voit célébré, fêté, questionné, malmené et critiqué, autrement dit, enfin pris au sérieux.