Ne te retourne pas — Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent
Avec Ne te retourne pas, la maison d’art Bernard Anthonioz de Nogent propose un parcours consacré au graphisme qui rappelle l’identité du centre, intimement liée à la fondation nationale d’arts graphiques et plastiques (FNAGP). Si elle donne à voir, alternant les médiums (impression, photographie, vidéo) et problématiques (réflexion, communication, invention), l’exposition invite surtout à découvrir, au cœur d’un parcours comme une composition éclatée et sentimentale, un pan de la création graphique du XXe siècle et son impact sur le nôtre.
« Ne te retourne pas », La MABA du 19 mai au 24 juillet 2016. En savoir plus Un parti-pris audacieux qui se joue de son support, de la nature multiple et « fonctionnelle » de créations qui se déclinent. La création graphique est ainsi abordée ici par son envers, questionnant la possibilité pour une image de drainer avec elle une suite, un arrière-plan qui la complète, la précise ou en prolonge le mystère. Car il en va de la nature du support de tout « objet » de création graphique, chacun porte en lui cette capacité à être utilisé, manipulé et donc retourné ; le recto entraînant par définition un verso, qu’il ne peut cacher, contrairement à l’image exposée qui empêche l’appréhension de son envers.Et d’emblée, l’exposition nous prend de cours en présentant des supports usagés exposés sous tous leurs angles, cernant la réalité du travail de graphisme, sans se contenter de la flatter en offrant un catalogue de (belles) images. Ici, les objets sont heurtés, les pages de magazine ont vécu, la pochette mythique du disque Unknown Pleasures de Joy Division est abîmée et ne laisse voir que son verso, tandis que les textes qui les accompagnent contiennent eux-mêmes les traces de textes suivants, découpés sauvagement en leur centre et barrés de traces de marqueurs qui dirigent le regard sur les sections concernées.
Le texte fait ainsi office de fil directeur d’une exposition qui nous plonge dans l’histoire de créations visuelles tout en inventant une narration personnelle. Le spectateur est confronté à plusieurs « cas pratiques » qui, s’ils dialoguent, ne rentrent pas dans une conversation dirigée. Les créateurs mis en avant, extrêmement différents, dessinent des mondes parallèles qui cohabitent et peuvent s’entrechoquer, chacun développant un langage tout autant que les moyens de le diffuser. Par là, le commissaire de l’exposition Étienne Hervy parvient à faire valoir l’extrême diversité de la création graphique, elle qui correspond à autant d’attentes et de visions que les projets qu’elles investissent.
Ne te retourne pas se veut donc une exposition exigeante qui demande une implication du visiteur, le plongeant au cœur d’un espace dont elle joue comme d’un support où les cimaises elles-mêmes deviennent des pages pourvues d’un recto et d’un verso. Prétextes à des échos visuels, les espaces composent des renvois et reflets qui inventent une mise en scène dynamique et ouverte qui s’achève en apothéose avec la superbe salle consacrée au bureau de création M/M, dont les travaux mêlent en une farandole vivante l’histoire du graphisme, le monde de l’art et de l’édition.