Le pouvoir du langage — Le langage du pouvoir, galerie mfc — michèle didier
Faisant honneur à son engagement constant autour de l’édition et de l’écriture, la galerie mfc — michèle didier présente une exposition thématique ambitieuse autour de formes plastiques du langage qui auscultent, à travers l’œuvre de cinq artistes, la dimension esthétique et politique du langage.
« Le Pouvoir du Langage — Le Langage du Pouvoir », Galerie michèle didier du 21 janvier au 12 mars 2022. En savoir plus Avec des propositions aussi singulières qu’intéressantes, le parcours organise un jeu d’échos concrets qui fait du lettrage le motif de variations sensibles et sémiologiques. Usant de la typographie comme d’une palette d’outils délimitant les formes, les propositions alternent les plans, vertical, horizontal et suspendu pour investir l’espace de lignes de lectures qui le révèlent.De la missive intime au développement théorique, de l’occupation de l’espace public à l’exhortation politique, les différents régimes de discours distillent leurs fonctions communicationnelles en alternant l’information et la prise à parti. Car l’écriture, en toute circonstance, « adresse », et les artistes participants rendent bien la justesse de cette valeur d’implication d’un spectateur immédiatement et évidemment mobilisé dans un dialogue silencieux certes, mais loin d’être non-voyant.
Les bandes colorées de Jenny Holzer délimitent ainsi pour faire habiter, jusqu’à la satiété, des discours prosélytes volontairement frappants qui ornent les cimaises de la galerie. Toujours aussi impressionnante, l’installation active depuis 1979 Inflammatory Wall, 1979-1982 trouve dans cette activation contemporaine un écho saisissant, ayant embrassé les codes d’une lecture verticale qui opère la jonction entre l’affichage public et anticipant le défilement propre aux outils numériques, audacieusement pop et infiniment brutale visant à « saisir » son lecteur.
Doux-amer, le corpus mélancolique d’Alex Cecchetti nous plonge dans un état de transition, traitant de la couleur sur ses images comme il les fait vivre dans ses textes. Côte à côte, voire se chevauchant l’un l’autre, dessin et discours qui se prolongent dans des lignes drainant en leur sein la matière aqueuse de la couleur. L’aquarelle dégradée jouant ici le rôle de ligament entre image et idée.
Regroupant des supports de documentation épars du monde de l’art, Wesley Meuris compose des plans à plusieurs niveaux de sens reliés par une géographie et une temporalité dont lui seul détient la clé. Couches de sens empilées, ses œuvres adressent autant de clins d’œil (une adresse, un nom, un titre) que d’impasses qui s’unissent dans une pratique méthodique et presque ancestrale de la conservation. L’écrit opère ici la mutation de chaque objet en probable vestige archéologique dans une temporalité accélérée ; il est question de recherche, de fouilles de couches de sédimentation, de sélection et enfin de mise en exposition de reliques à déchiffrer.
Chez Benny Nemer, « l’adresse personnelle » est au centre du geste ; les œuvres exposées ici ne sont que des prototypes, des témoins d’une action qui l’engage, après accord passé avec le collectionneur, à déployer leur existence dans une relation épistolaire intime, l’artiste s’engageant à envoyer une lettre personnelle par la suite. Du visible à l’invisible, le même discours se pare de valeurs relatives à son contexte et chaque mot, chaque phrase perçue s’accompagnent de leur envers, le non-dit et / ou l’équivalent prononcé dans le secret d’une relation personnelle.
Une absence-présence qui trouve sa conclusion la plus vibrante dans l’œuvre d’Antoni Muntadas qui opère, lui, un zoom dans le texte jusqu’à mettre en suspens le sens pour ouvrir une divagation proprement formelle dans la courbe normative de caractères qui, ainsi métamorphosés, dévoilent des reliefs dont la familiarité accentue encore, à une aussi grande proximité, la singularité esthétique. Ici, c’est le vide laissé par la correction qui se donne à lire, comme une inversion de l’acte premier d’expression, le « retrait », concept si précieux de la philosophie derridienne, émerge par relation et tire de l’invisible une existence possible.
Par le geste plastique, le mot se soumet ainsi à l’épreuve d’une vérité phénoménologique qui en délivre une nouvelle approche, transversale et habile, capable de mobiliser l’intelligence de la sensation, la langue universelle de l’affect.