Les Fleurs américaines au Plateau
Intelligente et facétieuse plus que théorique et froidement historique, l’exposition Les Fleurs américaines immerge dans la fabrication de l’histoire de l’art moderne, à coups subtils de reconstitution et de copies de tableaux. Fertile provocation : ici la copie vaut presque plus que l’original. Explications.
« Les fleurs américaines », Frac île-de-france, le Plateau du 13 décembre 2012 au 17 février 2013. En savoir plus Reconstituer pour rendre vivant ce qui n’est plus. Mais, peut-être plus encore pour réécrire et questionner l’histoire. Ainsi sonnent les trois expositions qui jalonnent ce parcours composite mais rigoureusement homogène. La première tient en une salle, ou plutôt un salon, reconstitué ici pour l’occasion, celui des Stein, collectionneurs américains qui quittèrent San Fransisco pour tisser la modernité picturale en France, montrant dans leur salon du 27 rue de Fleurus les toiles postimpressionnistes, fauves et cubistes. La Femme au chapeau y jouxtait le Nu bleu. Idée simple mais pertinente que de réactualiser le souvenir de ce monde révolu à grand renfort de meubles d’époque, tapis et copies de ces œuvres iconiques signées Matisse, Renoir, Cézanne ou Gauguin. À travers l’évocation émouvante de cette pièce au charme bourgeois — évitant à cet égard l’écueil d’une reconstitution fanée et étouffante propre à certains musées d’arts décoratifs —, les commissaires Yoann Gourmel et Élodie Royer semblent montrer que l’histoire de l’art se tisse et éclôt dans l’intimité. Loin de tout volontarisme naturaliste, cet hommage rendu à la figure emblématique de Gertrude Stein livre avec justesse une image de la modernité en marche, à l’échelle d’une vie. Réincarné, le lieu ou plutôt son esprit rappelle que le tout paris y défila de 1905 à 1913, avant d’influencer durablement Alfred Barr Jr, premier conservateur du premier musée d’art moderne au monde. C’est d’ailleurs avec l’exposition qu’il commissionna au MoMa en 1936 que se poursuit le parcours. En montant quasiment à l’identique Cubism and Abstract Art grâce au concours d’étudiants d’une école d’art mandatés pour réaliser les copies, l’historiographie moderne prend corps et sous nos yeux revit la lecture que firent les Américains de l’art européen. Volontairement grossières, les répliques des toiles de Picasso ou Van Dongen sont ici faussement datées. Sur les cartels fantaisistes, on lira aussi bien 2036 que 2012… Mais que ces tableaux datent d’aujourd’hui ou de 1920, peu importe. On l’on aura compris, ici est évacuée la contrainte de la forme ainsi que la suprématie de l’original, seule compte l’élaboration du discours de l’histoire de l’art tel qu’il s’est écrit depuis ses origines jusqu’à l’après guerre, à travers l’évocation de ses allers et retours féconds entre ancien et nouveau monde. D’une rive à l’autre, d’un continent à l’autre.Sommes-nous en présence de faux ? De copies ? De reproductions ? Caduques interrogations face à cette mise en scène amusante et pleine de sagacité. Ce sera le même scénario dans le parcours final, face à la restitution, par le biais d’archives et de copies de l’exposition 50 Ans d’Art aux États-Unis. Montée à Paris au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1955 par la commissaire Dorothy Miller, elle souffla sur l’Europe un vent nouveau d’abstraction, qui légitima durablement l’art américain. S’amuser avec les dates, éperdument, déraisonnablement, pour ne pas se cantonner à énoncer froidement que l’art moderne commence en 1907 avec les Demoiselles d’Avignon, tel est le génial propos des Fleurs Américaines dont le parfum rend intelligent.