Maurizio Cattelan — Monnaie de Paris
La Monnaie de Paris accueille entre ses murs une rétrospective réjouissante et espiègle de Maurizio Cattelan qui, loin de bénéficier d’une immunité complaisante relative à son statut de superstar, se voit questionné et mis en jeu par cette présentation réussie.
« Maurizio Cattelan — Not Afraid of Love », Monnaie de Paris du 21 octobre 2016 au 8 janvier 2017. En savoir plus Not Afraid of Love n’est pas une exposition de Maurizio Cattelan comme les autres. Réalisée avec la complicité de l’artiste, elle se veut plus proche d’un autoportrait à travers les œuvres qu’il considère comme les plus abouties : la promesse est belle et l’enjeu important. Cinq ans après sa retraite organisée du champ artistique, Maurizio Cattelan, passé maître en coup de communication et déclarations tapageuses, oscille toujours entre le réel d’un marché de l’art qui l’honore et le fantasme de s’en extraire, voire de n’y être jamais rentré. Lui qui manie un art du paradoxe dans les discours sur son œuvre propose ainsi un voyage intime à travers son propre regard sur celle-ci. Un jeu de piste qui ne trouvera heureusement pas son dénouement ici tant la confrontation de ces œuvres avec la majesté grandiloquente des ors de la Monnaie de Paris offre une lecture encore renouvelée de sa pratique. Dans une succession d’espaces indépendants se dévoilent ainsi des créations qui apparaissent comme autant de déclarations d’indépendance.Suspendues, cachées, ou nous tournant le dos, les œuvres de Cattelan s’échappent du silence par le surgissement du signe (enfant qui frappe sur le petit tambour, visage caché d’un Adolf Hitler changé en premier communiant, œuvres disséminées sur les corniches des couloirs). Cet impact renforce l’effet de propositions choc qui manient des problématiques diverses, du traumatisme enfantin aux névroses du monde moderne, tout en passant par ses drames. Maurizio Cattelan trouve constamment le point d’indécision et d’indétermination qui fait de chacune de ses œuvres un kaléidoscope séduisant à travers lequel le regard perce le monde autant qu’il est renvoyé à sa propre condition, à l’observation d’un double en la personne de Cattelan, qui exprime l’incongruité de se trouver là lui-même. Spectaculaire et anti-spectaculaire, le travail de Cattelan se meut autour des frontières avec un flegme potache, armé du regard neutre, pour ne pas dire vide, de ses clones, qui habitent eux-aussi l’exposition. Aussi étonnantes que fondamentalement étonnées d’être au centre de l’attention, ces visions, mélanges de blague surréaliste et de grave sérieux ont ainsi été adoptées par un monde de l’art qui en a fait une icône, voire un symptôme. Lui-même oscille quand il est question de définir son statut, refusant souvent le statut d’artiste, jouant constamment sur l’absence et la présence, la fuite et la disparition de sa personne ; il se plaisait il y a quelques années à confier à d’autres le soin de répondre aux sollicitations de journalistes. Une absence érigée en principe avec le choix du titre de l’exposition, Not Afraid of Love, titre d’une œuvre qui voyait un éléphanteau dissimulé sous une couverture blanche, loin d’être discret. Le voilà aujourd’hui parvenu à ses fins, n’étant pas présenté dans l’exposition. Si l’éléphant n’est pas, en référence à l’expression anglaise, « in the room », sa tentative de dérobade paradoxale semble insuffler l’esprit tout entier du parcours.
En choisissant de laisser respirer les œuvres plutôt que de tenter l’accumulation, l’exposition rend ainsi hommage à l’efficacité de la production de Cattelan, ce lien immédiat qui se dessine entre l’image et le sentiment, sa capacité à produire une situation que tous, amateurs d’art ou non, peuvent s’approprier, comme un hiatus du réel, un paradoxe actif qui, en lieu et place de l’illusion, choisit la déformation, n’avance pas masqué et s’amuse de sa propre « évidence ».
Plus encore, il semble ici que la confrontation avec un bâtiment qui n’a rien d’un musée d’art contemporain orchestre une rencontre proche de la visée fondamentale du geste de Maurizio Cattelan, conservant la fraîcheur du surgissement, de l’étonnement et sa stratégie du choc. De la sorte émerge la force de l’incongruité caractéristique de son œuvre pour en souligner également la profonde ambiguïté. On joue ici à se faire peur, on joue à s’inventer des mondes avec une ardeur toute enfantine « et si et si et si… ». Un investissement total qui a ses limites. Trop symbolique, trop voyante, trop égocentrique, trop larmoyante, son œuvre semble donner le bâton pour se faire battre. Encore des jeux, encore de la provocation, certes, mais cette alternance, pour ne pas dire dichotomie, dans la création de Cattelan est aussi ce qui nourrit la réflexion. Un parti-pris que n’hésite pas à assumer le commissariat de l’exposition avec le choix de convoquer un monde littéraire, une somme d’expériences textuelles autour des œuvres présentées. Au travers de ses cartels, Not Afraid of Love prend le parti de contrer le discours officiel autour de l’artiste et offre des contrepoints salutaires et vivants au parcours en invitant des personnalités issues de milieux différents à développer un regard chaque fois singulier et engagé. C’est cette vie des idées et, on l’imagine, la jubilation de l’artiste à susciter la controverse qui font aussi la force d’une telle présentation.
Au final, cette exposition-portrait, en flirtant aussi ouvertement avec les limites d’une personnalité, ouvre d’autant plus de brèches salutaires dans l’appréhension de l’univers de Cattelan et maintient ce flottement caractéristique d’une œuvre qui se nourrit du regard que l’on pose sur elle. Une manière peut-être d’inventer une distance salutaire aux thèmes ouvertement et furieusement intimes que draînent ses mises en scène. Une manière également de questionner la présence, la collusion de sa personne et de sa fonction, de son statut dans la multitude de situations qu’il invente. Encore une fois, la seule réponse objective semble être ici cet autoportrait en noir et blanc plein d’ironie doucereuse dans lequel l’artiste, en éphèbe langoureux, imite avec ses mains un cœur qu’il pose sur sa poitrine. Que nous l’aimions ou l’attaquions, il nous aime. Au temps pour tous.