Hans Op de Beeck — Le Centquatre
En recevant Hans Op de Beeck, le Centquatre a imaginé une exposition qui nous plonge avec délice dans l’univers englobant et profond d’un artiste multi-instrumentiste capable d’employer une large palette de médiums pour inventer ses mondes alternatifs.
« Hans Op de Beeck », Le Centquatre-Paris du 22 octobre au 31 décembre 2016. En savoir plus Depuis près de vingt ans, l’artiste flamand déploie un jeu sur le réel et sa représentation en usant d’éléments et techniques minimalistes dénués de tout « spectaculaire » pour faire naître des fictions extraordinaires. Notre rapport au temps, aux limites de l’espace et à sa répétition artificielle se voient ainsi questionnés par l’artiste pour qui l’œuvre doit dégager « tristesse douce et beauté consolante ». De la sorte se retrouve dans ses créations une mélancolie palpable qui projette en acte le spectateur face à un monde inconnu qui nécessite une certaine forme de soutien moral ; loin de se cantonner à l’anxiété que la rencontre avec l’inconnu provoque, Hans Op de Beeck tente tout aussi bien de la résoudre en la constellant d’éléments propices à l’accueil. Au sortir de l’étonnement initial, une certaine connivence naît entre le créateur et le spectateur plongé dans ces fictions immobiles qui, s’il n’en devient pas l’acteur, habite pour un moment ce monde parallèle et lui confère son « existence ».L’artiste envisage ainsi chaque salle comme un tableau sur lequel il compose un décor animé mais toujours « en attente ». Doublures du réel, ses créations polymorphes invoquent une réalité alternative, fictionnelle et empreinte d’une narration dans laquelle il appartient au visiteur de se fondre au moyen de l’imaginaire ou d’observer les identités parallèles qui s’y ébattent.
Composé de salles indépendantes présentant chacune une œuvre, le parcours de Saisir le silence se veut fragmenté. L’obscurité, part essentielle de ces installations et projections, impose sa solennité et son étrangeté chaque fois que le spectateur entrouvre une nouvelle porte qui le mène vers un inconnu désolé et magnétique qui, s’il inquiète, parvient à s’apprivoiser à mesure que l’œil s’y habitue. Derrière les références qui pullulent, de David Lynch à Vermeer, des frères Coen à Peter Doig, l’exposition manipule des ambiguités singulières. À commencer par l’appel à « saisir » ce silence qui n’en est pas un ; son décor de théâtre vide et volontairement clos, sa maquette d’une ville flottante et sa sculpture à échelle humaine d’une pièce jonchée de détritus sont tous accompagnés d’une bande-sonore éloquente qui tranche avec la désertification appuyée de ces « morceaux » de monde. Élément essentiel de ces installations, la musique offre un contrepoint sentimental à leur mutisme, elle appose un filtre sentimental qui en modifie notre perception. Les pièces deviennent autant d’autels érigés en l’honneur d’une mémoire inventée, un hommage à l’imaginaire de ce qui aurait pu être ou de ce qu’il pourrait advenir. En ce sens, elles n’ont rien d’immobiles et semblent parées à voyager à travers le temps et les espaces mentaux, aussi éloquentes que muettes et aussi immobiles que déjà hors d’elles.
Un paradoxe que l’on va retrouver dans ses vidéos hypnotiques et ingénieuses dont le noir et blanc appuie cet univers quasi-monochrome caractéristique de l’artiste qui se refuse à choquer le regard et perturbe les sens en arasant les distances. D’abord dans Staging Silence (part two) qui, avec des procédés simples qui s’enchaînent, construisent et déconstruisent des décors réduits, orchestre une succesion d’images mentales. Les micro-paysages deviennent véritablement sensibles et sensuels, mélangeant les images de toucher et de manipulation précises dans des saynètes successives. Le dénuement et l’intelligence des moyens minimaux mis en œuvre rappellent l’importance de la main chez cet artiste, elle qui apparaît en effet comme démiurge de ces univers. De plus, l’utilisation de la nourriture (chocolat, pomme de terre, sucre etc.) dans les constructions mêmes élargit le spectre des sens quand la musique dramatise l’action, accompagnant le rythme des sentiments, face à ces destructions qui ne sont toutefois jamais définitives. Sur une même table jamais vraiment rase émerge toujours du nouveau.
La seconde vidéo, Night Time, elle, rappelle l’importance de la peinture dans le parcours de l’artiste avec une multitude d’aquarelles qui servent de trame à une mystérieuse narration, où les figures humaines semblent se fondre dans ces nocturnes qui mélangent simplicité, immensité et grotesque. Techniquement impressionnants, ces tableaux voient leurs éléments liquides conserver leur mouvement, neige, pluie et brouillard oscillent infiniment et offrent un reflet malicieux à l’essence même du médium employé, l’aquarelle.
Tour à tour onirique, inquiétante, sentimentale et mélancolique, l’œuvre d’Hans Op de Beeck ravit donc une fois de plus au Centquatre-Paris par son accessibilité et sa volonté immédiate de partage. Sans céder aux sirènes du spectaculaire, il déploie un monde monument qui, de par sa diversité, son ouverture et ses paradoxes, imprime durablement sa marque sur l’imaginaire et y poursuit sa vie, indépendant et pourtant bien possédé, durablement « saisi ».