Mounir Fatmi — Galerie Yvon Lambert
Très remarqué lors de la Biennale de Venise en 2011, à l’occasion de sa participation à la première exposition pan-arabe The Future of a Promise, Mounir Fatmi le fut également en de plus funestes circonstances lorsqu’en 2012, son œuvre vidéo Technologia fut censuré par quelques fanatiques qui considéraient sa projection de versets coraniques blasphématoire. L’artiste tangérois revient à la galerie Yvon Lambert sans l’ombre d’une polémique et y expose son travail qui ne laisse pourtant guère de répit au sacré.
En ouvrant le parcours avec la pièce La Divine Illusion, livres sacrés imprégnés d’encre noire, Mounir Fatmi revient à son sujet de prédilection, le blasphème. Il y a dans cette installation une multiplicité de couches de lecture. Abîmés, les textes sacrés, ouverts en leur milieu sur une tache de Rorschach, sont pourtant installés soigneusement dans une vitrine de verre muséographique. Paradoxe fécond, Mounir Fatmi sacralise ainsi la désacralisation, en l’institutionnalisant. Comme d’autres ont dit en leur temps, il est interdit d’interdire, il faut comprendre ici, il est important de blasphémer. Non pour choquer ou heurter les esprits mais pour asseoir la liberté d’une parole libre autour du sacré. En moderne, en artiste, ainsi se pose-t-il.
Aussi imprime-t-il sur une pluie de néons la sourate 24 du Coran. Analogie à la lumière divine (présence divine en théologie de la lumière occidentale), Jusqu’à preuve du contraire (03) affirme la libre appropriation d’un texte sacré par l’art conceptuel et perceptuel. Façon de dire également que rien n’appartient à quiconque, en art comme ailleurs. Si les œuvres étaient intouchables tels des objets religieux, aucune référence artistique ne serait jamais possible. Duchamp a été mille fois cité, revisité, copié diront certains, et c’est heureux. Point de dépassement duchampien par Bertrand Lavier si les fanatiques s’en mêlaient. Mounir Fatmi libère ainsi les discours pour remettre en circulation l’autonomie des idées. La sculpture Le Paradoxe de l’unicité, à ce titre joue sur le même ressort. En apposant une calligraphie arabe au fameux Rémouleur, encore appelé Aiguiseur de couteaux, de Malévitch, il fait converser le profane et le dogme. Enième biais pour se soustraire à l’injonction de Dieu qui interdit sa représentation. L’idolâtrie, eidolon, « image » ou « représentation », péché dans la religion musulmane interdit en effet toute représentation divine.
Mounir Fatmi, n’a donc ni dieu ni maître, ni idoles comme le rappelle implicitement le titre de l’exposition They were blind, they only saw images. À trop regarder vers la lumière divine, on s’aveugle.