Moving Stones — Kadist, Paris
Les expositions de la Fondation Kadist imprègnent souvent leurs visiteurs d’un sentiment de satisfaction. Par la pertinence et la subtilité des recherches portées par des curateurs et curatrices, le visiteur ressort — clefs en main — avec le bagage d’un savoir savamment orchestré. La sélection des artistes est pointilleuse, la scénographie juste au millimètre près, la communication inventive, la médiation généreuse. À croire que l’équipe saurait réorganiser le chaos pour nous faire comprendre dans quel théâtre nous évoluons tous.
« Moving Stones », KADIST du 29 septembre au 16 décembre 2018. En savoir plus L’exposition collective Moving Stones — dont le commissariat est assuré par Marie Martraire — est de ces expositions où l’on découvre les travaux d’artistes dans des conditions optimales. Réplique allégée de l’exposition If These Stones Could Sing (programmée en début d’année dans son autre espace de San Francisco), l’exposition s’adapte à la fondation Kadist de Paris autour de cinq artistes internationaux.Tout part d’un objet culturel : le monument. Les artistes invités proposent tous un récit qui interroge le rapport du corps et du temps avec son environnement, en l’occurrence dans notre cas, avec le monument. Objet d’interaction par son érection dans l’espace publique, le monument est une oscillation protéiforme entre sculpture et architecture qui toujours pose la question de l’échelle et du symbole. Comment appréhendons-nous l’histoire, si ce n’est spécialement par l’expérience physique des traces matérielles qu’elle a laissées ? Les cinq artistes témoignent d’une façon sensible et souvent intime de leur engagement face à ces reliques commémoratives.
Tous parlent de traces. De façon similaire au rôle qu’on confère au monument — à savoir, attester de l’existence ou de la réalité de quelque chose — Milena Bonilla, retrace l’histoire de la sépulture de Karl Marx située dans le cimetière de Highgate à Londres. Déplacée suite à une pétition du parti communiste britannique, l’ancienne tombe gît toujours sous les mauvaises herbes quelques travées plus loin de sa nouvelle version plus grandiloquente. Avec l’œuvre Stone Deaf (2018), l’artiste se fait topographe : à échelle 1, elle retranscrit sur 2000 posters le relevé qu’elle a réalisé par frottage sur l’ancienne tombe du père de la lutte des classes. L’artiste donne dans l’espace d’exposition une nouvelle perspective à son discours sur l’absence (le corps de Karl Marx n’est plus sous la tombe originale) et nous offre des simulacres d’un monument qui incarne le périssable.
L’œuvre d’Emilija Skarnulyte parle également d’une seconde vie et d’un déplacement physique d’objets de commémoration. Dans la vidéo Aldona (2013), l’artiste filme sa grand-mère — mal voyante — dans le parc Grutas (Lituanie). Le parc privé, fondé par un entrepreneur, expose une centaine de sculptures datant de l’ère soviétique. Objet de controverse, cette collecte unique est le décor d’une déambulation qui nous fait appréhender l’histoire différemment. On suit donc la grand-mère de l’artiste, Aldona, qui avance à tâtons entre les statues monumentales. Elle les caresse et les étreint, pour mesurer les formes d’une figuration qui ne lui est plus perceptible mais qu’elle capte par le toucher. Avec cette vidéo, Emilija Skarnulyte réfléchit — par métaphore — sur notre lecture de l’histoire a posteriori et sur le monument comme incarnation relative de la mémoire.
Voici un bref échantillon, qui donne un aperçu sur l’approche sensorielle de cinq artistes de générations différentes. Qu’il soit un réceptacle à souvenir ou un symbole d’une forme d’oubli, le monument implique le corps de nombreuses façons et Moving Stones capte l’essence de ce phénomène.