Nicolas Darrot — La maison rouge
Avec Règne analogue, la maison rouge propose jusqu’au 18 septembre un parcours généreux et intrigant qui met parfaitement en valeur l’univers de Nicolas Darrot et lui confère une réelle unité malgré la diversité plastique et formelle de ses recherches.
Nicolas Darrot tisse un lien intime entre technologie et matière organique qui sont autant d’acteurs d’une forêt paradoxale. Pas de toute puissance du créateur ici, l’artiste fait du prérequis de la représentation, le jeu, une notion essentielle du monde qu’il invente. Non seulement ses créatures, par leurs mouvements ou actions, sont en relation directe avec le spectateur, mais plus encore, il intègre dans la création même la dimension accidentelle, l’échec d’un accord parfait entre sa propre visée et le résultat de son élaboration pour laisser émerger ce « jeu » constant entre deux fondements du réel, sa concrétude et sa représentation.
Accueilli par un bataillon de Dronecasts, des insectes surmontés d’exosquelettes aux allures d’expérimentations militaires, le spectateur entre dans l’exposition comme on entre dans un paradoxe. Oscillant entre le cabinet de curiosités d’un entomologiste et la collection de jouets fantastiques, entre la célébration de l’ingéniosité de la nature et sa transformation nécessaire par la technologie, Règne analogue s’ouvre comme une encyclopédie d’un monde qui, pour familier qu’il soit, semble avoir presque fait le deuil de l’humanité ou, à tout le moins, de sa représentation. Technologique, fantasmatique et érudit, l’univers de Nicolas Darrot est fait de mécanismes qui imitent la nature, troublent les sens sans pour autant prendre au piège. Rien de caché ici, au contraire, à l’image de la fascinante chorégraphie de son installation monumentale Ariel, où l’impact visuel des machines qui font se mouvoir les trois figures est aussi efficace que les figures elles-mêmes. Au-dessus de deux spectres constitués de toiles de parachutes qui s’ébrouent et d’un Intrus aux allures de yéti, c’est un ballet de pistons, filins et poulies qui siffle dans l’air ses râles inquiétants et figure concrètement la relation nécessaire entre chaque élément de ses compositions. Plus loin, les capteurs de mouvement font partie intégrante des structures encastrées dans les murs qui cachent, derrière les vitrines, des figures inquiétantes. Le dispositif devient ainsi un élément du spectacle et participe de façon active à la création. C’est ainsi un véritable système qui se fait jour et, à l’image de chacune de ses créations, déploie l’architecture d’un microcosme peuplé de squelettes, babouins, insectes et chimères qui redéfinit chaque fois sa propre logique. Des « règnes » en quelque sorte, qui se prolongent et se poursuivent par analogie et tissent des liens avec le nôtre.
Car l’animalité prégnante dans l’œuvre de Darrot ne manque pas d’éveiller les souvenirs de notre propre rapport à la nature. Théorique, métaphysique ou mythologique, son installation Misty Lamb, révèle une vibrante synthèse de la pensée humaine face au règne animal. Questionnant tour à tour les théories philosophiques, l’histoire de l’art et le mythe religieux quant à la place et au statut de l’animal, Nicolas Darrot ouvre une forêt d’interprétations sans imposer de conclusion définitive. L’installation voit ainsi une brume enveloppante émaner d’un agneau gisant au sol, immobile. Endormi, mort ou offert, l’animal impose dans l’espace sa présence sensible, matérialisée par un nuage qui communique directement avec nos sentiments. Au-dessus se meut un rideau doré, couverture de survie tantôt cachant l’agneau, corps meurtri auquel on offre protection et chaleur, tantôt actant sa mort en l’intégrant au cadre majestueux de dorures d’une cérémonie sacrificielle.
Très riche, l’exposition se poursuit au sous-sol avec les Injonctions, des saynètes animées de pantin voyant s’époumoner un donneur d’ordre face à un objet en proie à l’échec. L’apprentissage ainsi mis en scène, répété en boucle et finalement toujours recommencé touche là encore à une limite plus profonde, la nécessité d’apprendre à nouveau à chaque tentative de rapprochement, la possibilité que chaque rencontre, chaque différence soit une leçon singulière qui ne s’accompagne pas de certitude. Un apprentissage dépouillé de sa volonté de savoir, un apprentissage de soi et de son rapport à l’autre.
En insufflant ainsi une véritable vie dans ces machines, un souffle qui les relie à notre propre mouvement, Nicolas Darrot parvient à véritablement toucher. Tantôt silencieuses, tantôt incluses dans des narrations, c’est cette alternance qui régale dans l’œuvre de Darrot et lui donne toute son originalité, nous envoyant toujours dans une dimension nouvelle tandis qu’il continue d’en explorer tous les possibles.