Peintres femmes — Musée du Luxembourg
Le musée du Luxembourg présente une exposition thématique consacrée aux femmes peintres actives durant les cinquante années charnières de 1780 à 1830 qui ont défini les bases d’une France entrée de plein front dans une nouvelle ère.
« Peintres femmes, 1780 — 1830 — Naissance d’un combat », Musée du Luxembourg du 19 mai au 4 juillet 2021. En savoir plus Si la question du droit individuel et de la liberté agite tous les débats intellectuels de l’époque, la question féminine reste une annexe dans les envolées programmatiques de hérauts de la modernisation quand elle n’est pas simplement ignorée ou plus encore dénigrée. Il en va ainsi de la peinture, activité alors essentiellement masculine dont la pratique, par les femmes, ne manque pas de réveiller des tensions nourries des illusions d’une domination masculine prompte à justifier les limitations d’accès aux droits. Si l’on ne doute plus, aujourd’hui heureusement de la non-corrélation au sexe des compétences picturales, les enjeux posés à la fin du XVIIIe par la revendication d’un droit d’exercer la peinture révèlent des luttes sociales aussi vertigineuses dans leurs enjeux que le médium qu’elles touchent.Objet de pouvoir, d’expression, de reconnaissance et de communication politique, la peinture charrie avec elles les craintes ontologiques de chairs révélées (les femmes n’ont pas le droit de participer à des ateliers de nus alors qu’elles peuvent suivre l’enseignement) mais aussi la terreur de voir ce vecteur de création comme un accélérateur d’émancipation d’un sexe dont la place dans la société préserve un ordre séculaire d’une domination affirmée.
Pour autant, suffit-il que des femmes prennent le pinceau pour les voir armées et prêtes à une lutte pour leur reconnaissance ? C’est le parti-pris d’la communication d’une exposition qui ne rend pas justice à son propos, bien plus porté sur la nécessaire réhabilitation de figures féminines au centre du grand échiquier de l’art de la représentation. Plus subtil qu’il n’y parait donc en premier lieu, si l’enjeu tient d’un combat, il paraît peut-être plus contemporain et lié à la volonté salutaire d’épousseter le catalogue des peintres classiques. Car en la matière, les femmes présentes dans ce parcours sont tout aussi capables d’un classicisme radical, qui fait ronronner comme n’importe quelle rétrospective purement chronologique cet ensemble terriblement court. Le genre sexuel n’a rien d’un thème pertinent et les trajectoires de vie, tout aussi différentes, si elles font bien résonner, chacune à leur manière les enjeux d’une histoire de lutte, n’apparaissent en rien dans ces travaux alignés avec méthode et élégance laissant peu de place à l’étonnement absolu. Le talent individuel seul, dans la capacité à faire vibrer les couleurs et le motif donne le rythme d’une progression finalement assez laborieuse.
Il faut ainsi chercher dans l’histoire de chacune des protagonistes, dans le contexte de chaque tableau les éléments à même de réveiller l’intérêt ; plastiquement, comme on pouvait s’y attendre, cette succession d’exercices de styles paraît aujourd’hui assez dure à défendre, obéissant à des critères de rigueur, de styles et de sujets maintes fois revus.
On s’accroche alors à des dissonances, à des exceptions, à l’image du tableau de couverture de Nisa Villiers, Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson, 1802, qui fait bien figure de chef-d’œuvre et impose sa majesté d’exécution, sa liberté de réinterprétation anatomique pour mieux structurer les épisodes narratifs d’un corps revisitant le mythe de Vénus, pleinement en vogue alors dans l’actualité de l’art. Sous les yeux du modèle qui renverse, elle, véritablement l’ordre du pouvoir en nous écrasant de son regard plein de gravité, létale si l’on observe la paire de gants abandonnée près d’une cheville « fétichisée », surmontés d’ongles comme des griffes. Seules quelques toiles à ses côtés se détachent heureusement également et laissent flotter un sentiment éthéré de puissance picturale qui disent beaucoup de la puissance d’abstraction et d’invention de la peinture.
Les scènes de genre, mises en abîme des conditions de travail des peintres restent très sages et, si elles illustrent l’histoire, ne s’en détachent pas pour autant, simples mises en lumière de peintres à leur métier. Une exposition plus intéressante donc en termes de recherches, de recensement, d’histoire et de sociologie qui rappelle la douloureuse mise à l’écart des femmes dont ces exceptions illustrent la systématisation de l’exclusion. La bataille se joue bien plus en sous-terrain, dans les infinies barrières dressées à l’encontre des femmes pour prétendre même au statut d’artiste ; le résultat est alors un reflet en négatif de batailles souterraines plus que démonstration d’un engagement par la pratique qui mobilise pourtant l’histoire pour éclairer les évolutions de notre modernité.
Peintres femmes constitue ainsi un retour salutaire sur une histoire de l’art qui ne s’est pas construite sans l’apport majeur de femmes dont l’entrée en peinture se fait reflet des mouvements de la société, à défaut de marquer sensiblement un « combat », une « lutte » qu’il est pourtant nécessaire de poursuivre.