Daphné Le Sergent — CPIF, Pontault-Combault
À travers une exposition dense et riche d’une perspective de recherche qu’elle emprunte depuis plusieurs années, Daphné Le Sergent propose au CPIF de Pontault-Combault un parcours passionnant qui met en résonance les enjeux matériels d’un médium photographique devenu sujet réglé sur le cours du monde. La chambre noire se fait dès lors caisse de résonance des problématiques économiques agitant le monde.
« Silver memories, le désir des choses rares — Daphné Le Sergent », CPIF — Centre photographique d’Ile-de-France du 19 mai au 18 juillet 2021. En savoir plus Usant de l’espace sans multiplier les artifices et proposant au spectateur un déplacement parallèle au mouvement de la pensée, ces mémoires d’argent émancipent la photographie de sa surface plane pour la propulser dans les méandres d’une activité humaine qui fouille les profondeurs mêmes de son environnement. Issue d’une réflexion convaincante sur l’espace aveugle du centre, la scénographie joue de l’effet tunnel pour emmener le visiteur, après lui avoir octroyé des temps de pause face à des images silencieuses, dans un face-à-face avec l’histoire. Son film, habité par une volonté d’échapper à la pédagogie didactique, retrace en fil narratif des événements historiques qui s’égrènent à la faveur d’illustrations au décalage judicieux. Les références se mêlent, les lieux se croisent et se confondent à l’image des balbutiements d’une industrie photographique ancrée dans le cours économique d’un monde qu’elle doit suivre pour survivre.Ces enjeux, passionnants, marquent durablement l’attention, forcément ouverte à l’interprétation de chaque signe comme un possibilité nouvelle de compréhension de la réalité. La mise en lumière de facteurs extérieurs et multiples ayant présidé son essor font alors de la photographie un objet hybride, travaillé de forces aussi éclairantes qu’inquiétantes.
Ce qui passionne ici est la manière dont, à mesure qu’elle s’enfonce en profondeur dans le sens et explore les origines et problématiques de son sujet, Daphné Le Sergent révèle les analogies ontiques et ontologiques de la photographie, dérivant sur un plan existentiel la nature profonde d’une pratique qui apparaît dans toute sa singularité organique. Par le recoupement des sources, par la concordance du mot et le truchement d’épisodes de l’histoire, elle élabore une cartographie aux allures de système nerveux, éclairant les conditions de relations qui expliquent chacune intimement le support photographique comme « conquête humaine ». D’emblée en effet, le visiteur est prévenu ; à travers la rareté, le matériau décrété de la sorte « précieux », c’est le moteur des ambitions de l’homme depuis des millénaires qui est en jeu, sa dimension précisément immédiate à (voire parfois prenant le pas sur) son propre instinct de conservation.
L’immersion est alors constante et la « graphie » du terme « photographie » impose l’analogie d’une histoire dont ce dernier, lui aussi, écrit les rebondissements.
De la description historique des cours économiques de l’or et de l’argent à la rencontre, par le chant, de cultures amérindiennes renseignant sur la découverte des gisements qui rythmeraient l’économie mondiale des XIXe et XXe siècles, l’artiste nous place constamment au cœur d’un double mouvement. Du côté de l’observation, de l’usage même de la photographie pour en explorer l’essence, entre les racines et les cimes de l’imaginaire ensuite. La photographie, dans sa matérialité, devient en effet l’enjeu et le vecteur d’une réflexion profonde et troublante dans le cheminement d’une pratique dont le procédé chimique initial nous emmène tout aussi bien vers les profondeurs de l’être que vers les hauteurs infinies des possibilités que la création y distille pour offrir inventer de nouvelles perspectives au réel.
Les lignes de l’argent, complexes et vertigineuses tracent ainsi au CPIF une trajectoire d’une profondeur saisissante qui réussit le tour de force de faire d’un cours d’histoire salutaire une déambulation passionnante au long du cours de l’histoire.