Présence Panchounette — Galerie Semiose
Chic choc, super, sensass !, le ton est donné. Reprenant les termes inscrits en marge du carton invitant à la 4e Biennale des Arts Panchounettes en 1977, l’exposition de la galerie Semiose revient sur le parcours de Présence Panchounette. Après avoir secoué le monde de l’art depuis sa date de naissance doublement symbolique puisque fausse de 1969 à sa dissolution en 1990, les œuvres du collectif bordelais traversent à présent l’épreuve du temps. Avec pour étendard une revendication radicale de l’idiotie, Présence Panchounette lutte avec ses moyens contre le goût bourgeois pour libérer l’art et la représentation de leurs tenants officiels.
« Présence Panchounette — Chic, choc, super, sensass ! », Galerie Semiose du 3 septembre au 8 octobre 2016. En savoir plus Une liberté en acte qui les contraindra à opérer sans cesse l’art du contrepied pour éviter toute adhésion solide, quitte à saper l’enthousiasme de leurs défenseurs, observant cette radicalité avec une ardeur combattive, refusant tout hommage et tout symbole de réussite. Loin de la contradiction, cette situation offre plutôt l’occasion de vibrants paradoxes entre un art de la gaudriole et la cabriole de leur passage dans l’art. Résistant à tout endoctrinement, toute catégorisation, Présence Panchounette est donc coupable d’un art qui se doit d’être, à son tour, approprié. Car ancrées dans leur époque, se jouant des codes, des représentations et des images qui envahissaient leur quotidien, les installations et peintures explosives, inventives et irrévérencieuses du collectif sont aujourd’hui des fragments qu’il nous appartient de penser dans une perspective historique, celle de l’art. D’abord parce qu’elles mêmes se chargeaient avec délectation de revisiter, critiquer ou plagier l’art du XXe siècle (entre autres) mais aussi parce qu’elles les suivaient immédiatement, en empruntaient le vocabulaire et en détournaient les modes de monstration. Jusqu’à jouer avec leur propre réussite et la perspective d’une esthétique marchande aussi bien que d’une marchandise esthétique, la présentation de l’exposition rappelant avec justesse la photographie de groupe réalisée en 1972 devant un magasin Castorama. L’art s’achète ; ce qui s’achète peut alors devenir de l’art. En témoigneront la profusion, entre autres, de nains de jardin dans leur vocabulaire esthétiques, ces figures paradigmatiques de la rencontre insoluble entre le décoratif, la production de masse et le besoin de s’approprier « son » espace-jardin en le singularisant. De ces évidences plastiques, de cette observation acerbe de l’évolution de l’art, Présence Panchounette aura même le culot pas si ironique de préfigurer les mouvements à suivre de l’appropriationnisme et du néo-conceptuel. En ce sens, et à son corps défendant, Présence Panchounette aura mis plus qu’un pied dans la mare de l’histoire de l’art, posée en son calme jardin comme un arc-de-triomphe en polystyrène sur une allée de graviers.Cette postérité grinçante n’est certainement pas étrangère à l’efficacité plastique, à la pertinence et impertinences symboliques indéniables de leurs trouvailles. En témoignent ainsi les pièces présentées à l’occasion de cette rétrospective : l’association de la bétonnière et du lustre qui préfigurera le « chic industriel » en vogue dans chez nombre de créateurs des années 90 et, partant, dans les magazines de décoration, mais aussi la drôlatique forêt de rubans plastiques, ceux-là même que les années 80 ont vu fleurir sur les pas de portes dans nos villages. La sculpture d’un jeune homme noir, empruntée à l’artiste ivoirien Nicolas Damas connu pour avoir vendu à travers le monde des représentations de la vie urbaine de son pays, affublé d’un GhettoBlaster, elle, laisse pantois devant l’énergie absconse utilisée par des enseignes pour vendre leurs produits, opposant la société du spectacle à un désolant spectacle de la société. À ses pieds, un tapis évoquant la peau d’un animal sauvage et derrière lui, le néon de la marque « Lee », emblème des années 80, semble signer cette mise en scène « caractéristique ».
L’association de gants ornés de rectangles colorés « façon Mondrian » et d’un grille pain au design minimaliste fonctionne à plein, laissant entrevoir la porosité ambiguë de l’art et de l’industrie, Présence Panchounette touchant ici avec délectation à l’inanité de « l’absolu » artistique, tissant les liens réels bien que subreptices des « goûts de l’époque ». Plus loin, c’est Magritte et la révolution copernicienne de sa Trahison des images qui se voit réduite avec une joie communicative à la blague potache, Ceci n’est pas une fellation. C’est précisément à travers l’absence de respect, l’absence de limites et l’absence de réussite parfois que Présence Panchounette parvient à garder ce cap si insolemment nécessaire au paysage artistique, cette « fleur de la vulgarité » vitale à toute entreprise de pensée plus encline à questionner qu’à asséner.
L’exposition, réjouissante, témoigne également de l’attachement et de la persévérance salutaires de la galerie Semiose qui continue, année après année, de défendre ce mouvement avec une intelligence qui l’honore. Sans imposer artificiellement un discours emphatique sur un corpus aussi drôle que désordonné, ce travail d’exposition et de conservation fait vivre toutes les contradictions du groupe en laissant ouvertes les questions drainées par un mouvement qui a su perforer le paysage artistique de sa singularité en saturant l’espace de simplicité, de kitsch et d’hilarité concrète. Une joie qui, depuis sa dissolution, nourrit la permanence de sa Présence et parvient à transmettre la propriété historique du choc collectif, le préservant de toute tentation d’en faire un mythe. C’est d’ailleurs cette joie qui se révèle dès lors que les œuvres dépassent le cadre de la réaction pour s’inscrire dans un contexte d’action ; avec le temps et sa dissolution, Présence Panchounette se voit à son tour déjouée pour affirmer la pertinence du rire, de l’idiotie dans l’art, même le plus conceptuel.