Regards hors-champ et paysages — La Fab.
Après une première exposition, La Hardiesse qui nous avait laissé le goût amer d’une présentation bâclée et gâchée par des incohérences notoires dans un parcours qui, à privilégier l’émotion personnelle, perdait toute ambition de faire vivre des œuvres pourtant essentielles, La Fab propose un nouvel accrochage qui, s’il offre de très beaux moments, ne manque pas de retomber dans des travers qui maintiennent de sérieux doutes quant à l’évolution de ce lieu pourtant si prometteur.
Dans les premières salles et dans tout l’espace du rez-de-chaussée pourtant, la promesse semble tenue. Une vraie cohérence plastique et un propos plus cohérent qui, indiquant clairement ses intentions, se retrouve dans un choix solide d’œuvres qui résonnent conceptuellement et formellement. La participation de Jean de Loisy et le regard que dessine sa plume y sont certainement pour beaucoup même si un léger flottement entre les deux notions de regard hors-champ et paysage subsiste. Ancrées dans une histoire qui s’écrit à force des regards, (Man Ray, Breton…), les photographies, œuvres sculptées, dessinées ou écrites dévoilent dans une première salle un jeu de perspectives d’une belle justesse à travers l’appel secret à chacun des sens. Entre légèreté des médiums et poids de l’affirmation, les œuvres imposent sur l’espace immaculé le dessin d’intentions qui participent d’un paysage mental séducteur et efficace dans lequel le visiteur est invité à se plonger. Alternant les époques et les problématiques, ces œuvres en appellent aussi bien à inventer un regard sur le réel qu’à s’en évader à travers la reconstruction imaginaire de cocons ; on pense ainsi à cette belle perspective qui, au cœur du dernier ensemble de pièces, voit surgir, presque organique, la sculpture d’un temple fragile de Claire Tabouret en contrepoint à une photographie de plage bondée, foule occupant l’espace comme un lieu de pèlerinage aux abords d’une femme nue, icône désabusée laissant filer son regard vers l’impossibilité d’une rencontre avec le nôtre. Un exemple parmi d’autres belles rencontres et dialogues entre des œuvres qui trouvent un terrain d’expression réjouissant qui auraient pu s’intégrer à une véritable relecture de la notion de paysage.
Malheureusement, la dernière partie du parcours et la présence de la Maserati de Madeleine Berkhemer, une œuvre déjà présente dans la dernière exposition et dont on ne comprend si elle est vouée à s’intégrer au décor du lieu ou à prolonger un propos que, dans tous les cas, elle perturbe, annonce la tendance aux redites et aux répétitions.
Un doute bien vite confirmé à l’étage, où, en parallèle d’œuvres classiques auprès desquelles la maîtresse des lieux annote l’origine, un focus sur des pièces représentant des visages vire à l’étalage et à un foisonnement qui ne sert plus personne, sinon la litanie de noms qui se succèdent avec des bonheurs divers. Si cela pouvait traduire une belle simplicité du regard, cela pose problème quant à la finalité d’un accrochage qui dessert les œuvres les plus intéressantes. Et la bonne idée initiale d’opérer dans le fonds impressionnant de la collection une sélection optant pour la fuite, le regard hors-champ, se perd dans une mise en scène bâclée au sein d’un espace d’exposition qui n’aide vraiment pas à sa mise en valeur. On regrette alors que l’exposition n’ait pas pris le parti de creuser cette seule notion du regard hors-champ pour tenter d’en faire émerger une somme de problématiques qui aurait vraiment fait émerger un propos construit, libre et audacieux. Malgré ainsi la somme d’histoires fantastiques, dramatiques et tragiques que ces visages, ces constellations d’artistes dessinent, l’effort se perd en effet et tient plus sur l’évocation biographique de grandes figures du monde de l’art (plastique, littéraire, cinématographique) brillant ici plus par leur aura que par les forces que leur création aurait activées.
L’hommage saurait certainement toucher et nombreux pourront se plaire à se perdre dans ces regards qui charrient avec eux leur somme de souvenirs, de possibles et d’histoires mais, encore une fois, l’accumulation et la tentation d’emmêler toutes ces urgences au sein d’un dispositif scénique qui peine à les supporter confond entre elles toutes les idées et les perd dans un précipité qui ne leur rend pas justice, laissant presque glisser la force poétique de créateurs qui continuent de nous hanter en panthéon d’arguments d’autorité.