Sylvain Ciavaldini — Galerie Sator
La galerie Sator présente une nouvelle exposition de Sylvain Ciavaldini, artiste français né en 1970 dont la virtuosité et l’apparent hyperréalisme révèlent une attention profonde à l’expression, qui fait se révéler des failles salutaires dans l’observation de notre entourage.
Si Ciavaldini avait pour habitude, dans ses dernières séries, d’introduire des structures formées d’éléments géométriques qui venaient perturber la densité d’une représentation du réel en évidant la masse de matière par la force même du vide, les contrastes se font ici plus sourds entre regard et nature. Plus immersif, ses sujets sont autant de portraits glanés au fil de balades nocturnes aléatoires, agencements arbitraires de matière organique capturée par la lentille éprouvée d’un dispositif photographique jeté dans l’obscurité.
L’opposition et l’invasion de la lumière artificielles, si elles constituent un sujet traditionnel de l’histoire de l’art, agissent ici comme révélateurs d’un autre sentiment, fournissant les indices familiers d’une solitude recherchée, d’une plongée nocturne armée du seul faisceau lumineux d’un appareil électronique. Du contraste à la contrition, difficile de ne pas penser le sujet au regard des derniers mois ayant imposé à la quasi-totalité de l’humanité une solitude relative.
Dans ces humeurs nocturnes à l’épaisse mélancolie et à l’échappatoire possible, la précision du trait et la fidélité du sentiment ne manquent pas ainsi de laisser transparaître une véritable singularité dans le choix de son traitement motif. Si donc les incursions de motifs géométriques habituellement présentes dans son travail sont ici abandonnées au profit de lignes issues d’une rémanence de la lumière, comme le faisceau d’une torche en mouvement à la surface du papier, il se joue plus encore, à la surface du visible, un théâtre d’émotions qui se perçoit dans la variation des distances. Sous l’hyperréalisme travaillé par l’intensité du noir profond se dessine, à mesure que le regard se rapproche, une quantité choix de représentations, de désirs de faire forme qui font osciller la perception même de la méthode.
Mimétisme et fantaisie, hyperréalisme et illustration s’embrassent dans une danse qui multiplie les boucles et accumule les lignes. Le réel devient vecteur d’un regard que la main semble se plaire à complexifier, contraster mais aussi contourner. Pour mieux le retrouver par la suite, une fois le regard ramené à bonne distance, laissant en tête l’étrange paradoxe de l’illusionniste. Nous aurait-il fait croire avoir vécu un moment qu’il laisse les marques de sa technique pour nous convaincre que nous-mêmes l’avons rêvé.
Un écart subtil avec ce réel qui est donc loin d’être simplement reflété ici, à l’image de ses sculptures en céramique, actrices d’installations décoratives et fonctionnelles comme un étrange et réjouissant pied-de-nez lancé à ses propres dessins, plus sombres et issus d’une technique par définition harassante. Ses étagères, garnies d’un dessin par endroit presque masqué forment ainsi le soutien de vases, tasses, et autres récipients comme chargés d’une matérialité différente. Eux qui sont si fidèlement reproduits sur papier, semblent avoir emporté la masse de pigments qui les emprisonnait dans la planéité en s’arrachant à leur condition de représentation. Le poids en quelque sorte de la valeur de production sur l’instance de reproduction.
Le poids surtout d’un réel que Sylvain Ciavaldini, dans cette nouvelle exposition à la galerie Sator, parvient à faire sentir dans toute sa paradoxale pesanteur, aussi épais de la marque de son encre sur le papier qu’irrémédiablement libre et ouvert à l’interprétation dans les réserves de blanc qui semblent surgir en dernier lieu de son processus de capture.
Le travail de l’illusionniste encore, créer le piège pour mieux mettre en scène la libération de son objet, cet “horizon” qui, comme l’évoque le titre de l’exposition “s’enfuit d’une fuite éternelle !…”
Sylvain Ciavaldini, Et l’horizon s’enfuit d’une fuite éternelle !…, du 12 septembre au 23 octobre 2021, galerie Sator, Romainville