Takesada Matsutani — Galerie Almine Rech
Membre du groupe Gutaï qui révolutionna la peinture japonaise et imposa dans les années 1950 sa soif de nouveauté, Takesada Matsutani développe depuis lors un œuvre singulier où la modernité le dispute en importance à l’absolue singularité comme en témoigne l’exposition que lui consacre la galerie Almine Rech dans son espace de l’avenue Matignon, à l’image de son œuvre, sobre mais terriblement dense.
« Takesada Matsutani », Galerie Almine Rech, Matignon du 6 janvier au 18 février 2023. En savoir plus Car s’il était bien question, sous l’autorité de la figure tutélaire du peintre Jiro Yoshihara (1905-1972), de reléguer la peinture classique aux oubliettes de leur contemporanéité, il s’agissait d’abord de s’y opposer et d’imposer un art qui en révélerait l’inanité. Une radicalité absolue qui déborde ainsi la question du temps pour embrasser à plein la recherche d’une essence de l’art à inventer que l’on retrouve tout au long de la carrière de Matsutani (né à Osaka en 1937 et vivant à Paris).Le geste, la matière, la texture et la dynamique deviennent des valeurs clés qui imposent par elles-mêmes l’identité des œuvres. Rejoignant en cela la prégnance de l’intensité dans le vocabulaire pictural de la seconde moitié du XXe siècle, Matsutani déploie des toiles submergées par des déflagrations d’encre, de pigments et de matières qui participent autant d’une volonté d’en finir avec le fantasme d’une quiétude harmonique de la peinture que d’une recherche, par le bouleversement, de tirer un fil forçant, par son magnétisme même, un sens d’éclatement. De l’amas rassurant, de la bulle réconfortante, très présente dans son œuvre, vers son éclatement.
C’est ce qui ressort ainsi très clairement de ce choix d’œuvres réalisées entre les années 1980 et aujourd’hui. Dans chacune d’entre elles, une force hors-champ semble exercer une attraction brutale qui déchaine une forme initiale et menace l’espace qui l’entoure. Ouvertement et frontalement absconses, les compositions imposent leur direction plus que leur signification, participant chacune à leur manière d’un mouvement polycéphale échappant lui-même à toute généralisation. Si la ligne immense dessinée par la toile de plusieurs mètres de long en ouverture de l’exposition charrie une somme de références, repères et symboles que l’on croit pouvoir déchiffrer, les cercles cabossés qui la jouxtent, renversant ostensiblement la toile qui les supportent brouillent les pistes et perturbent toute sémiotique.
La langue picturale de Matsutani passe par l’expérimentation et la submersion, elle noie les repères pour faire de la pièce achevée la jalon supplémentaire d’une voie qui n’a rien de tracée. La succession ramassée de petits formats présentés au sous-sol est à ce titre éloquente de force brute, alignant sur quelques deux mètres des années de recherche et d’expérimentations dont chaque itération fait émaner dans l’espace une absolue singularité.
L’espace et le temps sont alors définitivement emportés dans le geste, toute composition est une fin en soi, peuplant un domaine vierge de causalité historique où chaque pièce constitue un paysage abstrait de sa condition même de « lieu ».