Thoughts that Breathe — Fondation Hippocrène
Dans le cadre de son programme Propos d’Europe, la fondation Hippocrène accueille l’exposition Thoughts that Breathe, un parcours très réussi qui parvient à faire coexister minimalisme conceptuel et sentimentalisme nostalgique. Avec l’œuvre de Martin Boyce pour fil conducteur, cette invitation de la fondation Hippocrène au couple de collectionneurs Haubrok fait directement écho à l’attachement de ces deux collectionneurs pour les espaces singuliers, en résonance avec les problématiques des œuvres qu’ils affectionnent.
Si Thoughts that Breathe renvoie bien à la possibilité de trouver une vie dans les objets, à la poésie, tout est d’abord question de lignes et vient répondre à la problématique de ce que pourrait recouvrir un « propos d’Europe », un flux de traces reliant à elles une multitude de points différents. La ligne droite, tortueuse, continue ou accidentée apparaît ainsi sous des aspects divers au cœur de ce parcours qui fait honneur au bâtiment qui l’abrite, ancien atelier appartement de Robert Mallet-Stevens, qui avait su si bien la célébrer.
« Propos d’Europe — Exposition annuelle d’art contemporain », Fondation Hippocrène du 6 octobre au 18 décembre 2015. En savoir plus La ligne, c’est d’abord ici celle que brise Martin Boyce avec le tableau éponyme qui déconstruit la citation de Thomas Gray (« Poetry is thoughts that breathe and words that burn ») en dispersant ses lettres dans une composition spatiale du plus bel effet. Aux pieds de cette proclamation aux allures de programme de réappropriation du monde par l’art, ses feuilles de papier crépon gisent, se soulèvent et se meuvent sous l’effet de notre passage. Derrière la référence poétique à l’automne et la réactivation, par la technologie, d’un élément naturel, les feuilles cachent un clin d’œil malicieux aux arbres de béton qu’avaient réalisés les frères Martel pour une architecture de Robert Mallet-Stevens. C’est ainsi la ligne de continuité de l’histoire que suit Martin Boyce, qui a toujours exploré les rapports de filiation entre architecture, histoire et art, autant que la possibilité d’intégrer au sein d’objets artistiques formels la possibilité du sentiment. Un lien qu’il explore en brisant précisément les lignes et en imposant dans l’espace d’exposition ses tubes luminescents qui reproduisent également l’essence formelle de l’architecture de l’époque. Une opposition soulignée par la série de photographies sombres de bâtiments glanées tout autour du monde.Jouant sur la présence et l’absence, il se réapproprie des éléments de mobilier dépouillés de leur fonction. D’abord à travers sa structure métallique faite d’éléments de mobilier de jardin empilés qui appuient encore le sentiment diffus d’une nostalgie et d’un temps qui semble courir dans les objets mêmes. De la même manière, il recombine et expose,détériorées, des étagères pensées par Charles et Ray Earnes. Figures au statut instable, entre création et ready-made, elles se voient dépouillées de leur fonction et cachent leur contenu pour entretenir un mystère qui nourrit l’imaginaire. La belle ambiguïté de ces pièces rejoint également celle de ses soupirails, inspirés des sculptures des frères Martel, qu’il intègre, presque à notre insu, dans ce bâtiment qu’il fait dialoguer avec son histoire.
Un dialogue qui se poursuit avec les œuvres d’autres artistes présentés dans l’exposition, à l’image des superbes sculptures de Bojan Šarcevic, qui participent de cet éloge d’une époque, bien décidée à repenser les lignes de la modernité. Voire les réinventer avec une vidéo qui met en scène l’artiste dessinant sur le pare-brise embué de sa voiture des lignes qui viennent couper celles de la ville et imposer une stabilité dans le défilement continu du paysage. Carol Bove, elle, joue de la mise en scène même des objets pour questionner l’exposition avec une installation minimaliste, un autel présentant un simple livre ouvert sur montage photographique psychédélique. Presque camouflés, ses luminaires disposés dans l’exposition participent eux aussi à la scénographie. Enfin, Markus Schinwald utilise lui aussi un élément de mobilier pour en tirer une force organique qui en révèle la possibilité de vivre.
Au final, cette rencontre entre la collection Haubrok et l’atelier de Mallet-Stevens semble aussi naturelle que féconde. Elle est en tout cas un biais exceptionnel pour entrer dans ces univers et repenser les attendus de l’architecture et de l’art de notre époque, des créations qui repenseraient les lignes comme autant d’agrégations de points vivants, transmettant, à qui veut le sentir, le souffle de leur respiration.