Une assemblée de poète.sse.s civiques — Fondation Kadist
Car il s’agit bien, à travers ce projet d’exposition, de repenser la réunion de deux dimensions trop opportunément opposées pour ne pas en déceler l’intrication essentielle ; la poésie et l’action concrète. Au cœur d’une présentation sobre et soignée pensée jusqu’à l’invention d’un mobilier léger et accueillant, la fondation propose une exposition extrêmement riche qui fait de l’écriture le centre névralgique de nos places dans le monde. Donnant autant à entendre qu’à voir, à lire, la dimension poétique se découvre en acte et en action, celui du poète et celle de l’auditeur. Car entendre et accueillir la poésie pour ce qu’elle est constitue bien un engagement, un déplacement nécessaire face aux logiques de force intensives qui courent derrière l’innocence apparente d’une société de communication.
Dans la forme studieuse de la présentation, c’est ainsi le geste, la marque imprimée dans l’espace qui constitue le nœud de l’engagement. Plus encore donc que l’écrit en tant qu’objet, cette assemblée parvient à mettre en lumière la question de l’écriture dans l’espace et de sa matérialisation dans et hors de son support.
Loin de s’attacher à la seule dimension onirique ou symbolique de la poésie, Une assemblée de poète.sse.s civiques met en lumière la relation directe de la force poétique d’un œuvre dans son présent, à travers notamment la grande installation de Bouchra Khalili qui revient sur la figure de Jean Genet et la place qu’il occupe dans des combats sociétaux. On redécouvre avec bonheur le voyage et l’engagement du poète auprès des Black Panthers, retracé ici dans une cartographie historique qui compile archives et mises en perspective.
En aucun cas donc, la poésie ne se réduit à une « illustration » ou à un « ornement » esthétique de la lutte mais, au contraire, par la pensée, la métrique, la systématique de son invention, transforme celui qui la pratique en observateur sensible d’un monde où les gestes ne sont qu’éphémères et en aucun sens moins importants.
Reprenant les mots de Pasolini, les artistes présentés ici usent de tous les médiums (dessin, film, performance, exploration d’archives, installation sonore) pour entrouvrir, à travers la langue, la possibilité d’informer le monde en en perturbant les formes. Le poète n’est-il pas celui qui impose à l’image, au mot et au son un système qui les agence et les formalise dans une temporalité alternative ? Celle de la transmission, de l’échange, dans la solitude de la lecture ou le brouhaha de l’intervention publique. Là, la parole, le texte déroulent la singularité de leur rythme et tranchent l’évidence du monde qui nous entoure en installant une narration décalée qui en abstrait pour mieux l’embrasser par la suite.
À l’image là encore de cet îlot d’inventions où, concomitamment à la sélection d’œuvres, s’organise un cycle de projection impressionnant encourageant à revenir et à ne jamais considérer la visite comme la fin d’un propos qu’elle nous enjoint à prolonger.