Vandy Rattana — Jeu de Paume
Avec « Monologue », le Jeu de Paume invite Vandy Rattana au cœur de sa programmation Satellite qui propose, pour l’occasion, une vidéo saisissante qui nous confronte à la réalité brûlante des cicatrices de l’histoire. Bien que réduite à une pièce unique, l’exposition (gratuite) constitue une proposition judicieuse autant que courageuse de la part du musée.
« Vandy Rattana, Monologue — Satellite 8 », Jeu de Paume, Concorde du 24 février au 17 mai 2015. En savoir plus Né en 1980 à Phnom Penh, Vandy Rattana développe depuis une dizaine d’années un vocabulaire qui vient combler les déserts historiques d’un Cambodge en transition, marqué dans sa chair par le règne des Khmers rouges. À travers la photographie et la vidéo, il donne à voir un profil toujours inattendu de la réalité de son pays, revenant sur ses épisodes les plus sombres (Bombing Ponds, recensait les innombrables cratères dus aux bombardements des avions américains lors de la guerre du Vietnam, désormais intégrés au paysage) comme les plus quotidiens (Chess, une série qui s’attache à la pratique populaire du jeu d’échecs). Se plaçant délibérément à la lisière du photojournalisme et de l’art, Vandy Rattana investit véritablement ses sujets et perturbe les attendus en décalant notre perspective via l’intense émotion qui s’y cache.La vidéo Monologue retrouve cette opposition entre une histoire terrible et un calme absolu, figurant la perte et l’absence à travers un paysage silencieux, qui cache un lourd secret. Miroir de miroir, Vandy Rattana confronte le spectateur à l’histoire personnelle du narrateur face à son pays. C’est ainsi à sa sœur disparue avant qu’il ne vienne au monde que Vandy Rattana s’adresse, après avoir suivi les maigres indications données par ses parents pour trouver le lieu de son inhumation. À l’image, la sobriété du plan principal qui accompagne la voix de l’artiste oscille progressivement entre illustration et forme plastique indépendante. À l’oreille, la déclamation envoûtante d’un frère à la sœur qu’il n’a jamais connue transforme le monologue en un dialogue avec l’insaisissable, avec un passé enterré qui parvient à faire exister l’histoire : « Quant à toi, tu es peut-être ma respiration ». Car ce paysage si calme, cette nature caressée lentement par le vent est un cimetière. Comme des milliers d’autres au Cambodge. Aucune trace, aucune preuve si ce n’est la mémoire, celle-là même que l’artiste n’a pas et que, par la parole, par la confrontation à ses propres expériences, il fait naître. Et le texte, lui-même devient habité. Colère, mélancolie, imaginaire, la tonalité de ce narrateur qu’on ne perçoit que lorsqu’il se tait vacille au rythme de son discours, les idées force servant ici de repères d’intensité mémorielle. De même, la confrontation des objets récupérés par l’artiste sur place face à des parents peu expressifs renforce l’équivoque d’une génération qui veut en finir avec le silence. Sans parole, la végétation seule témoigne de l’histoire ; les arbres, depuis l’enterrement de la fillette, ont grandi.
Vandy Rattana au Jeu de Paume – Teaser from Jeu de Paume / magazine on Vimeo.
En plongeant au cœur de l’intime, Vandy Rattana parvient à toucher une histoire plus large, celle qui recouvre la détresse de la perte, de la cicatrice invisible des êtres humains comme des sociétés qui les oublient. D’investigateur, il se fait chercheur résistant et renverse les codes de l’enquête pour dépasser l’histoire et user de l’art comme vecteur de concrétisation des sentiments.