Wang Bing — Galerie Paris-Beijing
Photographe de formation, on connaît pourtant Wang Bing plus volontiers pour ses films (Le Fossé, primé au Festival de Venise, 2010). En prolongation de la grande rétrospective que consacrait le Centre Pompidou au cinéaste, la galerie Paris-Beijing choisit de montrer pour la première fois au monde son travail photographique, réalisé entre 2013 et 2014 comme un beau retour à ses premières années d’apprentissage.
« Wang Bing — Father and sons », Galerie Paris-Beijing du 29 avril au 7 juin 2014. En savoir plus Wang Bing revient donc à ses premières amours. Et doublement. En plus de revenir sur une pratique photographique choisie, apprise puis délaissée, il revient, physiquement, sur les lieux de tournage de certains de ses longs métrages. Ainsi pour les deux séries L’Homme sans nom et Père et fils, Wang Bing a retrouvé les personnages principaux de ses films. Un homme mutique pour le premier, un père et ses deux fils dans le second. Ces hommes, tous filmés de près, font corps avec la pellicule comme ils le faisaient avec les bobines. L’homme sans nom, retrouvé sept ans après le tournage du documentaire qui lui fût consacré, n’a pas changé. Il reste aussi muet qu’une tombe, vit toujours dans une grotte et erre le jour pour trouver de la nourriture. Mi-homme mi-bête, solitaire, tapi dans la steppe chinoise, il ne regarde pas l’objectif, ne pose jamais. Il continue sa vie et se laisse photographier comme le ferait quelqu’un qui a perdu le contrôle de son image, ne le cherche plus, et ne souffre jamais du regard de la société. De société, il n’existe pour lui sans doute, plus qu’un lointain souvenir. Tous les personnages de Wang Bing, du reste, sont en marge de la société, et très éloignés des représentations que l’on se fait de la Chine en plein essor.Ces hommes, tous filmés de près, font corps avec la pellicule comme ils le faisaient avec les bobines.
Sous l’œil du photographe, L’Empire du milieu s’exprime dans sa ruralité et laisse entrevoir une brutalité économique cruelle. Dans la série Père et fils, on suit Cai, tailleur de pierre qui se lève aux aurores pour pouvoir laisser son lit à ses deux fils lorsqu’il va travailler. Quand les plans sont serrés, les mains sont abîmées, les corps souvent sales, le regard perdu des hommes abattus par la fatigue. Les contrastes des tirages, exclusivement en noir et blanc, renforcent les tâches, aspérités et détails non lisses de ces vies laborieuses. Le regard du photographe s’il est profondément humaniste, en ce qu’il rend compte du quotidien, intègre une dimension vivante que le courant né dans les années 30 n’avait pas. Jamais figés, les hommes des séries montrées, ont une vie qui les attend et qui continue au moment même où Wang Bing les photographie. Aussi, ce matériau vif, au présent, ne cède-t-il jamais de terrain au misérabilisme mais jette au regard la question de la misère sociale et de la justice redistributive des richesses. Sublime autant que désemparant.