Biennale Jeune Création Européenne
Ancrée dans la week art parisienne, la biennale Jeune Création Européenne de Montrouge défend la scène émergente européenne en présentant une sélection de 54 jeunes artistes issus de 9 pays différents. Focus sur les six œuvres qui nous ont interpellés.
De même, la confrontation des médiums, leur rencontre ou leur détournement semble si bien digérée qu’elle s’échappe des discours d’intention pour se faire, en sourdine, agents nécessaires de la création artistique. Et si la scène émergente évite la confrontation politique directe, les stratégies d’émancipation de l’ordre social, les tentatives de réinventer un regard n’en sont que plus pertinentes. Nous avons donc sélectionné six artistes dont l’œuvre impose une lecture du monde autant qu’une manière d’en réinventer, pour qui s’y confronte, la liberté et la nécessité de s’y confronter. De la même manière que se dégage de l’exposition une véritable propension à l’utilisation du médium vidéo, notre sélection se fait miroir grossissant de cette tendance.
Katja Aufleger
Rejouant tour à tour des poses issues du Kindlers Malereilexicon (véritable encyclopédie de la peinture classique qui étudie 4000 personnages issus de la tradition), Katja Aufleger présente une vidéo fascinante. La succession des 360 attitudes exécutées avec le détachement de circonstance d’un modèle figurant dans une production sans moyen (un atelier d’artiste juché de matériaux et d’outils de construction) est hypnotisante. Pas de décor, pas de costume, un modèle discipliné mais loin d’être inspiré, ce minimalisme n’est pas loin de projeter le classicisme au cœur même de notre quotidien, exprimant les possibilités du corps comme on s’acquitterait d’une tâche administrative. Mais derrière la malice et la drôlerie d’une telle démarche, Katja Aufleger parvient en réalité à décaler toutes les lignes ; la peinture se fait sculpture, la tradition entre dans la modernité et l’artiste devient elle-même le modèle de ce bréviaire du bon usage des corps dans la tradition picturale.
Adrià Ciuriana
Si l’espace dédié à Adrià Ciurana peine à attirer le regard, la faute à une sculpture-engin difficilement convaincante telle qu’elle est exposée, sa mise en parallèle avec la vidéo, véritable enjeu de sa démarche est proprement jubilatoire. Suivant la déambulation d’un rosaire mécanisé à travers différents décors, elle met en scène une succession de tableaux surréalistes rythmés par le bruit de l’environnement qu’il traverse. Comme échappé d’une toile ou d’une sculpture classique, cet artefact nomade vient se mêler à la vie, emmêlant dans sa lente course la modernité du mécanisme avec le sacré de l’objet.
Krisztián Kristóf
Aussi courte qu’efficace, l’œuvre de Krisztián Kristóf présentée à Montrouge témoigne d’une réelle volonté d’explorer le medium vidéo à travers le prisme de la tradition picturale. A la manière des créations médiévales du manuscrit Les Très riches Heures du duc de Berry qui voyaient pulluler, en arrière-plan, d’innombrables saynètes, la vidéo de Krisztián Kristóf multiplie les trames narratives, micro-événements obscurs et déjantés rejoints par une caméra qui joue littéralement le rôle de chambre d’observation. Comme s’il isolait tour à tour des éléments d’un tableau imaginaire, ce regard en mouvement tente d’en cerner les détails pour ensuite fabriquer sa propre histoire, son propre rythme. Oscillant entre technologie obsolète (l’image fortement « passée » de sa caméra) et effets spéciaux aux allures de « gifs » animés, Roadmovie porte bien son nom, à ceci près que c’est ici le regard qui parcourt la route, allant à la rencontre des protagonistes qui peuplent cette toile vivante.
Eponine Momenceau
Trois images projetées au mur. Trois temporalités qui se rejoignent, s’entremêlent et se séparent. Trois points de vue sur une errance, sur des errances et des attentes, au cœur d’une gare. Entre voyage et stagnation, entre découverte et répétition, Eponine Momenceau fait de cette succession d’événements les agents d’une musicalité imaginaire, où les sons de synthèse côtoient les bruits du monde, où les flous de la lentille mélangent des couleurs qui se font liquide. Formellement superbe, cette Song manie les images avec virtuosité, parcourue de visions communes, qui se rejouent chaque fois sans se répéter. Comme un rythme imposé par les autres, une progression sans prise qui oblige à suivre les soubresauts d’une expérience qui, à tout moment, pourrait basculer du côté de l’inquiétante étrangeté.
Justine Pluvinage
L’œuvre de Justine Pluvinage apparaît d’ores et déjà comme l’une des plus abouties, des plus audacieuses et efficaces de ces dernières années. Se dessine en effet une étonnante dramaturgie dans des plans fixes où tout semble bouger, orner et accompagner ces récits d’autres que l’on ne reconnaît pas mais que la pudeur et l’ingéniosité de l’artiste parviennent à transformer en autant de miroirs dans lesquels se retrouver. Car Justine Pluvinage invente une véritable narration documentaire où les éléments d’images sont autant d’indices, d’échos aux récits simples et frontaux que les narrateurs, anonymes conteurs d’un événement de leur propre vie, développent. Avec ses multiples saynètes disposées comme un horizon de minuscules fenêtres sur les autres, Justine Pluvinage nous plonge dans un univers terrifiant où, comme dans ses images, les éléments les plus simples viennent se mêler aux mots dramatiques. Cette simplicité illustre au plus haut point l’âpre principe de réalité, celui-là même qui vient parasiter et façonner des existences forcées de « vivre avec », ouvrant une plaie béante, une zone neutre entre réalité et fiction. Et ce terrain à conquérir, c’est précisément celui qu’invente et occupe sa narration d’un nouveau genre.
Anaëlle Renault
Le travail d’Anaëlle Renault confronte la ville, les structures urbaines à l’élément textile. Par le biais d’images réduites, les fils de l’artiste envahissent les structures pour créer des réseaux imaginaires qui viennent en perturber les lignes. Telle une cartographie parasite, sa création invente une confrontation fructueuse entre l’image des réseaux technologiques modernes (relevés statistiques, échanges d’informations et télécommunication) et cette activité ancestrale que représente la couture.