Rirkrit Tiravanija — Galerie Chantal Crousel
La galerie Chantal Crousel présente une nouvelle exposition de Rirkrit Tiravanija depuis le 05 septembre dernier. Un projet inédit qui met en jeu les problématiques fortes qui sous-tendent son travail et souligne, entre une mise en place d’objets minutieusement manufacturés (tapisseries, marbres) et caractère éphémère de l’installation, ses propres contradiction ; autant de perspectives qui en garantissent l’ouverture.
Rirkrit Tiravanija — Untitled 2020 (once upon a time) (after jasper johns) @ Chantal Crousel Gallery from September 5 to October 10, 2020. Learn more Dans un jeu de résonances subtiles et sobres autour des codes symboliques des matières et matériaux, Rirkrit Tiravanija étend un dispositif tripartite au sein de la galerie comme une installation totale où plaques de marbre, plantes vertes et tissus rythment une déambulation fléchée par différents sens de lectures. Sous les slogans d’un messianisme drôlatique (« Shadows in Progress », « Once upon a Time » et « A Hurricane in a Drop of Cum ») gravés sur les stèles posées au sol ou sur les tapis d’Aubusson recouvrant les murs (inspirés, eux, des peintures de Jasper Johns qui, dans les années 1960, propose de renouveler le regard non seulement sur le motif de la carte mais aussi sur l’objet de sa représentation en en bouleversant les codes), l’artiste fait du message le thème fulgurant d’un appel à l’attention.Un cri dans le silence d’un lieu flottant entre salle d’attente (la prégnance de la plante verte) et cimetière (les stèles surmontées de drapeaux des Etats-Unis), l’installation de Rirkrit Tiravanija invite à son tour à observer les contours de la valeur de communication du message. Comment, au final, le contenu de sens parvient-il à la rencontre de la conscience ? Une question fondamentale chez cet artiste qui, comme à son habitude, dans un mélange exquis d’irrévérence, d’insolence et d’agit pop, emprunte aux méthodes traditionnelles (ici la tapisserie d’Aubusson), à l’esthétique séculaire de représentations du monde (ici les cartes géographiques) la valeur symbolique pour en user comme autant de pages vierges d’une histoire à raconter par de nouveaux biais.
En s’attachant à la première des puissances mondiales pour articuler son accumulation de messages, il déconstruit plus encore l’ordre d’un monde dont on perçoit les biais du regard de ceux qui l’occupent et le fondent. Ceux-là même qui continuent de dessiner, de repasser sur les lignes des frontières, les lignes géométriques des drapeaux nationaux qu’il parvient précisément à court-circuiter en les surmontant de messages qui les emmènent et les révèlent pour ce qu’ils sont ; des inventions contextuelles qui laissent leur marque sur tout ce qui s’apprête à les recouvrir.
À travers l’ambiguïté d’une police d’écriture neutre et des messages confinant à l’aberration, l’artiste parvient une fois de plus à faire jouer le slogan hors de sa fonction initiale pour mieux en saisir la force et les limites ; évidé de sa relation directe à une revendication, le slogan devient un témoin autant qu’un indicateur de ce que peut l’activisme. En ce sens, Rirkrit Tiravanija active à son tour une modalité de résistance et, en emmêlant les symboles, démontre l’urgence de s’emparer des outils de contestation autant que la nécessité de les questionner. Mais la manière dont il utilise le marbre, qu’il appréhende comme un élément susceptible de s’effacer dans son propre reflet, d’être « absorbé par tout ce qu’il reflète » vient précisément à rebours de cette gravité de cimetière pourtant explicitement pensée par l’artiste. Encore un contre-feu en quelque sorte qui incite à se méfier de la valeur de sens à attribuer à cet élément et une référence directe à sa disparition prochaine, au caractère éminemment éphémère de ce qui fait sens, par opposition à la durée factice de l’objet.
En adjoignant ainsi autant d’éléments et de contre-indications à une lecture unique, plus que la seule valeur éphémère et temporelle de la charge du slogan, c’est sa mutation nécessaire que Tiravanija met à jour, glissant d’un contexte à l’autre, d’une manière à l’autre, d’un temps à l’autre pour finalement faire varier le mode d’être même du sens, sa capacité à apparaître, à disparaître et ce sans jamais discontinuer.