Deux pièces meublées — Galerie municipale Jean Collet
Placée sous le patronage théorique de John Armleder qui rappelle que l’œuvre d’art « a toujours aussi été un objet domestique », l’exposition « Deux pièces meublées » tente de poursuivre la réflexion autour d’une confrontation entre mobilier et installation artistique.
Deux pièces meublées @ Galerie municipale Jean-Collet from March 23 to May 4, 2014. Learn more Une dualité qui pourrait évoquer un paradoxe sémantique et pourtant, de l’histoire de l’artisanat à la consommation de masse du mobilier en passant par l’émergence du design ou encore la décoration intérieure, art et espace de vie ont noué des liens inextricables qui mènent depuis le XIXe siècle à une réflexion sociétale de l’art. C’est ainsi par le biais d’un autre détour sémantique que la réflexion s’amorce ; « meubler », par métaphore, c’est occuper une vacance, temporelle aussi bien que spatiale quand l’installation s’efforce d’imposer une forme de création dans un espace donné. Par là, le renversement vers la déconstruction de la fonctionnalité est vite trouvé.Deux pièces meublées présente ainsi une très belle cohérence thématique et ouvre une véritable réflexion subtile sur la forme de notre quotidien, à commencer par cette mutation sidérante d’une simple table « enceinte » d’un minéral. Sous la planche de bois de Haltung, de Katinka Bock, la pierre impose sa pesanteur grotesque à un mobilier précisément fonctionnel et nous jette au cœur d’un intérieur parasité par des associations étranges, que les meubles auraient colonisé pour en faire le terrain d’expression animal d’une installation domestique. Les maquettes de bâtiments de Manuel Salvat et Thomas Jocher semblent menacées, déjà affaissées sous le poids d’un simple tableau, les tables de Stéphanie Nava se voient prolongées d’inquiétantes racines végétales (Pavillon Ludwig, 2011) tandis que s’élève, au premier étage, une étrange présence, celle du Marshmallow de Mario D’Souza, entité non identifiable faite d’une armature familière de chaise et de mousse pareille à celle qui se cache sous les tissus des canapés.
On assiste en ce sens à une forme de dépeçage de la fonctionnalité des meubles pour toucher à leur inquiétante étrangeté, révélant une proximité qui nous aurait empêché d’en percevoir la véritable nature. L’austérité même de la galerie, son sol plastifié comme une icône de cette tradition de priorité à la fonctionnalité vient encore appuyer le propos. Inquiétants mais fondamentalement ludiques, ces détournements portent la voix d’une population muette qui se découvre dans une mise en scène réussie. Un radiateur et un ventilateur rejouent ainsi le combat de Vulcain et Éole (Laurent Suchy, Éole et Vulcain, 2013) quand Vincent Mauger se confronte lui-même au mobilier, tronçonnant la table sur laquelle se tient au long d’une vidéo saisissante de drôlerie et d’absurde.
Émerge ainsi la question de coupes et de découpes, d’assemblement et de fracturation de l’espace d’habitat, allant jusqu’à y découvrir une force esthétique, une force de vie autant que d’inquiétude. Entre les deux étages, la très belle occupation par Jean-François Leroy s’adapte aux volumes qu’il envahit au moyen de bandes découpées et posées à même le sol, contre les murs, dessinant une sculpture monumentale, une véritable architecture d’intérieur. Un sentiment renforcé par la très impressionnante bibliothèque d’Alexandra Sá, qui découpe l’espace autant qu’elle l’organise.
Au final, la multitude d’artistes invités parvient à créer un dialogue cohérent et riche qui fait de l’espace la forme essentielle de conditions de vie qu’il nous appartient de questionner.