Eidetik — La Galerie Particulière
La Galerie Particulière ordonne les œuvres instables et morcelées de trois artistes : Thomas Hauser, Ugo Schiavi et Dune Varela. Pour cette exposition intitulée Eidetik, ils exhibent ensemble des travaux épris d’une fascination certaine pour les formes spectrales de l’Antiquité.
Eidetik — Exposition Collective @ La Galerie Particulière from April 19 to June 9, 2018. Learn more Le paysage de la galerie est parsemé de lambeaux et d’images qui nous propulsent sur l’estrade d’un panorama bien balisé : la ruine. Au détour de ces bâtiments naufragés et de ces images lacunaires, il n’est pas étonnant de croiser Léa Bismuth — dont la lentille est imbibée par l’hybridité flottante du médium photographique — qui signe le texte de l’exposition intitulé « La persistance des résurgences ». Avec certaines grandes découvertes en tête — Herculanum, le groupe du Laocoon, les fresques pompéiennes —, il convient d’appréhender précautionneusement les œuvres des trois artistes, comme si nous avancions à tâtons sur un site archéologique. C’est de la réunion de leurs œuvres que ce sentiment de fragilité antique nous parvient : strates de matériaux et d’images fragmentées, photographies de ruines imprimées sur des débris, ou encore anatomie estropiée de sculptures en équilibre.Les compositions de Thomas Hauser sont aussi bien stratifiées dans l’image que dans la matière, à l’instar de « l’optique fantastique sur l’antiquité »1 des gravures de Piranèse. C’est avec une minutie déconcertante qu’il dégrade l’image et assemble ses matériaux. Au sein d’un même module, miroir, page de livre et marbre se superposent dans un jeu de lecture énigmatique. Aussi, les techniques d’impression empiètent les unes sur les autres, nous laissant deviner un bout de sculpture ou un visage grignoté par la trame de l’imprimante laser. Les sculptures antiques nous sont arrivées en morceaux, fragmentées et amputées, d’un blanc immaculé. Ainsi, c’est un travail à rebours, une œuvre de déconstruction de la forme que Thomas Hauser propose avec ses images superposées. On retrouve également dans la précarité de ses assemblages, une structure antiquisante et brute du dispositif sculptural. Résidus d’une carrière abandonnée ou reliques morcelées d’un temple, ces images se retrouvent imprimées sur des matériaux qui semblent rejeter de façon épidermique — comme l’eau et l’huile — cette rencontre. Impressiophobes, matière mal encrée et minéraux usés s’unissent finalement chez Thomas Hauser pour révéler la capture d’une mémoire, d’un temps, d’une abstraction qui nous parvient précieusement, comme la découverte inopinée d’un site archéologique dont on ne sait encore rien.
Ugo Schiavi tisse dans l’espace des caractères qui ont été arrachés à un autre temps. Voleur de formes sculptées dans les lieux publics, il ramène et moule en béton des fragments de sculptures qui sont accompagnés des bras ou pieds d’un complice. Une étrange rencontre entre le vivant et l’immobile dont il laisse tous les artifices : toutes les étapes de l’élaboration (gaines, moules, etc.) sont visibles.
Dune Varela expose son Grand Tour — Italie, Sicile, Tunisie —, un parcours d’images de ruines fragiles dont elle se fait plus l’archiviste que l’iconoclaste. Cette attrait de la ruine, qui poursuit la course romantique de photographes comme Maxime Du Camp ou Auguste Salzmann, Dune Varela l’explore dans des formes qui dépassent « la conservation paradoxale de la pierre dans le papier » 2 si spécifique à la photographie. Dune Varela donne plus à voir qu’une pétrification de l’édifice en ruine, elle l’accompagne dans sa chute et lui offre de nouveaux supports de représentation et de survivance : papier, métal, plâtre, céramique, verre, pierre, etc. Tant de matériaux, qui prolongent l’image et finissent par transpirer (ou « resurgir » comme le dit Léa Bismuth) l’essence de leur forme globale. C’est une (re)construction mentale qui s’opère alors. Comme un cratère brisé ou la jambe isolée d’un groupe sculpté du Ve siècle avant J.-C., Dune Varela nous oblige à reformuler et ainsi combler les images manquantes qui feront unité.
Alors, comme face à (l’image de) l’édifice en ruine, un travail mental de reconstruction s’accomplit à la vue des œuvres de Thomas Hauser, Ugo Schiavi et Dune Varela. Les images se façonnent et se recollent à mesure que notre regard balaye les vestiges qu’ils ont engendrés. L’assemblage partiel de formes disséminées délivre l’image absente de son inquiétante faille et permet une lecture nouvelle et globale. Le travail de ces trois artistes réside sûrement dans leur capacité à faire émerger les formes manquantes de ces images qui deviennent alors tangibles.
1 Pour reprendre les termes de Marc Fumaroli à propos de l’Antiquité rêvée par le courant néoclassique du XVIIIe siècle. fn2. Philippe Dubois, L’acte photographique, 1983