My Winnipeg
Prolifique, débridée et explosive, My Winnipeg attaque sans prévenir et pousse son offensive sans ménagement. My Winnipeg nous dit tout parce que My Winnipeg n’est pas dans une stratégie de discours. L’exposition n’impose rien, elle appose simplement aux murs toutes ces créations qui participent d’une cartographie artistique d’un territoire ; les traumatismes de son histoire, les errements de ses choix économiques, les soulèvements populaires, les cohabitations culturelles, les stigmates de son isolement géographique sur une population oscillant entre espoir de fuite et désir de rester. Au long d’un commissariat inspiré (dans les trois cas) qui, loin de simplement façonner une vitrine flamboyante de la scène artistique winnipégoise, joue, en trois temps, avec les contradictions, avec les ambiguïtés d’une création qui, au final, en dit autant sur la ville que sur notre rapport à la cité, sur l’ambivalence constante de l’appartenance à un territoire.
« C’est littéralement une histoire vraie, mais en beaucoup mieux. »
Car après avoir passé le premier corridor et l’ensemble de photographies de la ville réalisées par Noam Gonick, le tour d’horizon de ces vues préparatoires à un tournage se mue en une introduction à un imaginaire à venir et à son premier choc ; une représentation mythologique de Winnipeg, qui laisse entrevoir les symboles d’une ville habitée par les conjonctions de son histoire (politique, pouvoir religieux et populaire). Winnipeg, ou l’histoire d’une ville et de sa froide banalité habitée par des yeux. Habitée d’autant de regards qu’elle compte d’âmes. Habitée finalement de toutes ses histoires, imposant dans chacune de ses représentations, réalistes ou non, ce voile de magie qui se dépose insidieusement sur l’image. Et la magie n’est pas toujours féerique, à l’image de l’inquiétante installation de Kent Monkman,
Mais surtout d’une histoire qui continue de s’écrire tant le foisonnement passionnant de la première partie de l’exposition, magistrale, souligne cette réalité multiple au service d’un seul objectif ; offrir une entrée sur une communauté d’artistes qui, à l’image du monde, est pleine de singularités. Et certaines de l’ordre de la pépite comme seule la maison rouge parvient à découvrir ; outre le génial My Winnipeg de Guy Maddin, l’excellente vidéo d’Andrew Wall, The Long Wooden Tobogganist, imprime sa vision décalée sur un territoire sauvage que les hommes sont bien forcés d’habiter, ou encore la dignité farouche des gardes forestières Shawna Dempsey & Lorri Millan. La naïveté, l’humour et la mystique travaillent de concert ces œuvres plurielles bien plus fortes que n’importe quelle leçon dogmatique. A l’opposé d’une histoire factuelle, les légendes, interprétations et mythologies personnelles de ces artistes offrent au final un objet d’une réalité si fantasmatique, si diverse, qu’elle dépasse l’histoire vraie et dessine les contours vaporeux de ce que pourrait être le véritable portrait d’une ville. Un état d’esprit qui sonne comme une analogie avec cette formule du même Maddin qui, à propos de son précédent film, Des trous dans la tête, déclarait : « C’est littéralement une histoire vraie, mais en beaucoup mieux. » Ainsi, bien plus que de rendre compte de la ville, l’art rend des comptes face à cette ville, face à ce terreau précieux d’un imaginaire forcé de se nourrir de lui-même, générateur de démons fantastiques, malins et fantasques. « Mon Winnipeg » devient alors « notre Winnipeg », découvrant ce formidable maléfice de l’art à l’œuvre, organiser le passage du propre vers le commun.