Sarah Tritz — Le Crédac, Ivry
L’artiste française Sarah Tritz, née en 1980, expose au Crédac les œuvres de 29 artistes, d’art brut et contemporains, en dialogue avec ses récentes créations, autour du corps et du langage.
Sarah Tritz et 29 invité.e.s — J’aime le rose pâle et les femmes ingrates @ Le Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry from September 13 to December 15, 2019. Learn more Il semble curieusement que ce sont les onze œuvres de Sarah Tritz qui s’immiscent discrètement parmi celles de ses invités : des artistes d’art contemporain et d’art brut, cet art des marginaux conceptualisé en 1945 par Jean Dubuffet. Au fil du parcours pourtant, ce sont elles qui deviennent les repères, les points d’ancrage, qui donnent le ton de cette exposition collective, J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, dont l’artiste est la commissaire. Pratiquant la sculpture, la peinture, le collage et le dessin, Sarah Tritz joue avec les emprunts à l’histoire de l’art, les confrontations, toujours dans une économie de moyens, avec des traits simples et purs. Le corps, dans sa trivialité, son érotisme et sa sexualité, anime souvent ses recherches et la spontanéité guide ses projets, à la façon des créateurs d’Art Brut, des enfants, des personnes âgées, des internés en psychiatrie, des ermites… Autodidactes, n’ayant pas ou peu de culture artistique en tant que discipline prescriptive.Les œuvres choisies par Sarah Tritz — qui a bénéficié des prêts du Centre National des Arts Plastiques, du Centre Pompidou, du Musée d’art moderne de la Ville de Paris et du LaM — Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’Art Brut — font écho aux siennes par leur esthétique, leurs thèmes, leurs matériaux et parfois leur proximité spatiale. Ainsi le Crédac s’est mué en royaume des formes, anthropomorphes, abstraites ou à mi-chemin entre les deux. Des formes hésitantes, imparfaites, non finies, ouvertes à tout ce qu’elles inspirent. Des corps tantôt engagés, tantôt malmenés, parfois brutaux, parfois vulnérables et parmi eux, des lettres, des mots, des phrases qui jouent, se cachent, se trompent, divaguent. La sculpture en bronze Me Princess (2008) de Liz Craft — une femme nue, à la chair irrégulière et sensuelle, assise jambe écartée, l’air naïf et joyeux — fait face à Pulpe Espace (2017) de Sarah Tritz, pièce de céramique rouge. La princesse, aux lèvres, tétons et vulve recouverts de rouge, semble s’y regarder comme dans un miroir, avec fierté et candeur. Marionnettes, théâtres, mises en scène et costumes sont des éléments qui se répètent, distillant dans l’exposition les processus de l’illusion, de la copie et de la tromperie. Paul End, né en 1896, artiste interné en hôpital psychiatrique, décalquait parfois des images issues de la bande dessinée, de magazines ou du Pop Art pour ses dessins, à l’image de Même le vent crie vengeance. Cette œuvre d’art brut fait écho aux petits théâtres en carton papier animés de figures que Sarah Tritz aime imaginer, à l’image de Tristz Institutt (2019), pensé comme une métaphore de l’atelier et de l’hôpital.
Les résonances entre les œuvres et les époques se dessinent de façon intuitive et fluide, au fil d’une scénographie qui invite le spectateur à naviguer, errer, flâner, revenir sur ses pas, le temps d’imprimer dans son espace mental, tour à tour, les images qui retiennent son attention. Peuplée des pensées et obsessions des artistes, laissant aussi libre cours à celles de ses visiteurs, l’exposition apparaît comme un grand espace de projection, un cerveau perméable et collectif. Le dessin de Maria Lassni, Courants du cerveau (1995) prend alors tout son sens : deux personnages dos à dos ont leurs crânes ouverts, d’où émergent lignes, flèches, formes, lettres et chiffres comme autant de signes d’un langage psychique à décrypter. Si la sélection de Sarah Tritz est éclectique, on quitte pourtant le Crédac avec un sentiment d’homogénéité. Il semble que toutes les œuvres pourraient, en secret, se lier entre elles jusqu’à n’en former qu’une, une fois le dos tourné et la nuit tombée.
Les créations réunies au Crédac semblent se redessiner sous nos yeux, sous l’effet de la confrontation entre art brut et art contemporain mise en place par Sarah Tritz. Les artistes ont en commun, au XXe comme au XXIe siècle, de s’être autorisés tous les glissements, toutes les imperfections, toutes les tentatives.