Cyprien Gaillard — Des ruines sans histoire
Archéologue du futur, Cyprien Gaillard agence des photographies d’architectures en ruine avec des clichés de bâtiments modernistes pour faire de ces derniers les vestiges à venir du monde occidental.
Geographical analogies, soit un ensemble de polaroids assemblés par groupes de 9. Chacun de ces regroupements met en vis-à-vis des temples en ruines du Yucatán, d’Angkor ou de Pétra, des totems amérindiens ou des mégalithes avec des bunkers et des barres HLM. Ainsi, placé à côté d’un monument ancestral délabré, un bâtiment issu de l’urbanisme moderniste est lui-même perçu comme la scorie d’un temps révolu ; à l’image des styles antiques ou préhistoriques, les styles architecturaux actuels ou issus d’un passé très récent deviennent des vestiges (ceux du XXème siècle). En archéologue du futur, Cyprien Gaillard nous conduit donc à porter le même regard sur des constructions plus ou moins contemporaines que sur des fragments de civilisations disparues.
A travers l’égalisation de styles d’époques différentes sous l’égide d’un devenir ruine universel, ces pastiches photographiques encourent le risque d’évincer leur dimension historique. De fait, la vision relativiste de Cyprien Gaillard, assimilant l’architecture moderniste aux ruines de périodes antérieures, aplanit
leurs implications sociales et culturelles respectives. Ainsi, par exemple, semble oubliée « la présence de l’idéologie » dans l’architecture fonctionnelle de « style international » ; elle qui, sous couvert de garantir une vie collective harmonieuse, propose en réalité des schémas géométriques d’enfermement et de surveillance propres aux sociétés industrielles1.
Aussi, en décontextualisant les styles et en refusant de leur fournir un cadre critique, Cyprien Gaillard rejette les particularités de l’histoire en faveur d’une mythologie généralisante et sentimentaliste2 : passé et présent se retirent dans un lointain à la gloire déchue, embrumé de regrets doux-amers. Son travail pourrait en fait indiquer la désintégration du style, en tant qu’expression singulière d’une époque, et l’effondrement de la capacité à penser historiquement3.
Sarah Ihler-Meyer
1 Peter Halley, « La Crise de la géométrie », in Images et représentations. Les années 1980, seconde partie, Magasin, Grenoble, 2009, p. 167.
2 Thomas Lawson, « Dernière issue : la peinture », in Images et représentation. Les années 1980, seconde partie, op. cit., p. 73.
3 Hal Foster, « Polémiques post-modernes », in Images et représentations. Les années 1980, seconde partie, op. cit. p. 27-29.