F… moi la paix — Galerie Analix Forever, Genève
Fruit d’une réflexion continue et nourrie autour des représentations de la paix, de ses conditions morales et de ses enjeux esthétiques, Barbara Polla propose au sein de sa galerie Analix Forever une exposition collective des artistes Ayman Baalbaki, Said Baalbaki, Serwan Baran et Abdul Rahman Katanani.
Ouvrant une discussion libre et récusant toute position de principe moral autre que la possibilité de sa réalisation, la réflexion de Polla impose un questionnement radical et salutaire sur la corrélation entre défense de la vie humaine, désir de justice, liberté individuelle et cadre collectif. Où que chacun se situe, la revendication de la paix entraîne ainsi une somme de conséquences qui en font une revendication bien moins inoffensive que sa représentation la laisse parfois imaginer et pétrie de contradictions à la mesure de l’engagement qu’elle requiert.
L’exposition F… moi la paix, en encourageant l’indépendance d’artistes résolus à « travailler » ensemble met en branle la multitude d’options d’une quête de paix qui, à défaut d’embrasser l’universel, nécessite un positionnement individuel. Voie qui s’ouvre d’autant plus nettement par la forme même d’un projet dont les participants ont laissé, selon leurs mots, les égos de côté pour inventer un parcours où les médiums, où les dimensions et les registres s’entrecroisent et reflètent les antagonismes du monde.
A l’image de leur sujet, les formes représentées par les artistes sont mouvantes et troubles, les couleurs s’emmêlent, les figures et matières paraissent travaillées de l’intérieur et interdisent toute inflexion définitive. Les ruines disputent aux terrassements, on ne sait si l’on construit ou si l’on évoque la fin. Toujours en lutte, elles répondent à l’invitation lancée de proposer leur vision de la paix par une mise en crise des attendus. Les symboles s’écartent pour laisser place aux méandres du doute, de l’incertitude qu’une telle notion charrie. Les gestes nécessaires à ces créations se devinent brusques, dans un rapport sensible à la matière qui engage le corps, voire le coup. En résultent des formes, des contrastes et des jeux de texture qui ont plus à voir avec la liberté qu’avec le repos d’une paix fantasmée comme seule quiétude. Le désir de paix s’incarne ainsi à travers la confrontation des injonctions esthétiques, leur cohabitation, qui n’a aucun besoin de silence.
La paix, consacrée ainsi par la matière, l’art et la liberté de ce groupe d’artistes apparaît sous un jour passionnant, embrassant la définition paradoxale d’une condition en même temps qu’une conséquence de la liberté. Ou se conquiert finalement, à l’image de l’injonction du titre choisi par les artistes eux-mêmes, conscients que la paix ne se décrète pas, elle se construit et passe invariablement par une situation de liberté.
Parce qu’elle est elle-même travaillée par une somme de contradictions foudroyantes lorsqu’elle est accaparé par l’art, la paix n’a définitivement rien d’un désengagement béat. En d’autres mots, pour le meilleur comme pour le pire, la paix n’a rien d’innocent.