Farah Atassi — Galerie Xippas
Nominée pour le prix Duchamp 2013, Farah Atassi présente à la galerie Xippas une nouvelle série d’œuvres réalisées lors d’une résidence à New York. Plus qu’une simple évolution, les dernières peintures de Farah Atassi peuvent apparaître, au premier abord, en rupture avec son travail, pourtant, l’essence de son œuvre est là, intacte et enrichie.
Et la scénographie de cette nouvelle exposition personnelle à la galerie Xippas ne manque pas de souligner cette évolution. Indéniablement, ceux qui connaissaient le travail de Farah Atassi à travers ses représentations d’intérieurs délaissés, perclus des stigmates d’une vie comme en suspens, ne pourront s’empêcher d’éprouver une « rupture » face aux premiers tableaux de cette nouvelle série. Un choc chromatique d’abord ; loin des couleurs pleines et profondes, des grilles emprisonnant la toile, la tonalité se fait lumineuse, presque aveuglante de clarté avec une prédominance de blanc, de rouges, jaunes et bleus. Choc formel ensuite ; jouant avec les codes du minimalisme, à l’image de Playroom 3, Farah Atassi semble apposer sur l’ensemble de la toile une structure aux motifs géométriques bicolores. Et pourtant, une fois encore, ce n’est que pour mieux révéler ces perspectives qui lui sont si chères, cette invention de l’espace par la manipulation optique. Comme camouflées par une bichromie obsédante, les lignes de fuite s’imposent par leur absence, tandis que leur loi continue de régner.
C’est ainsi qu’émerge un aspect véritablement essentiel de cette évolution ; la dimension ludique. Elaborant un jeu subtil d’absence-présence et d’aller-retour entre les époques et les formes, Farah Atassi tente d’explorer au plus profond ce que peut percevoir l’œil, ce que peut cacher l’émotion esthétique. Rien d’étonnant donc à ce que l’on retrouve, disséminés dans ces espaces et comme laissés là par hasard, des jouets et maquettes inspirés des outils pédagogiques allemands du début du XXe siècle. Perturbant les motifs qui se font murs et cloisons, les maquettes dessinent un monde irréel, une utopie insolente et réjouissante qui unit les contraires, insérant au cœur du modernisme des stigmates de créations folkloriques. Les motifs minimaux s’unissent pour donner naissance à des visions traditionnelles, voire totémiques avec par exemple Tabou II. Farah Atassi fait ainsi du vide la condition d’émergence d’un monde et, si elle en finit avec les représentations d’habitations, c’est que sa peinture, elle-même, s’approprie et habite la toile. Sa grille initiale devient ainsi un véritable jeu de « re-création » des formes, bouleversées par les rapports de couleurs, les agencements aléatoires opérant, d’un secteur à l’autre de la toile, un voyage buissonnier entre les codes esthétiques et les époques. Cette belle liberté conquise, c’est à un spectacle émouvant de couleurs, de motifs et de combinaisons que l’on assiste, enchantés par cette remise en cause par l’artiste de sa propre pratique et ce sursaut d’audace et d’irrévérence.
Mais, derrière la joie de l’expérimentation et de la découverte, ces objets inanimés, uniques habitants d’intérieurs qui sont à présent autant de mondes possibles, conservent, en la complexifiant, la mélancolie sourde de l’univers de l’artiste et ajoutent une confrontation essentielle à l’apprentissage du monde, celles des esthétiques « dysfonctionnantes » et pourtant superbes dans leur association. Un apprentissage, en quelque sorte à percevoir réellement la différence dans ce qu’elle a de plus essentiel. En ce sens, la peinture de Farah Atassi, poussant encore ses limites, s’installe plus que jamais dans une figuration sensible et ajoute à sa palette une liberté qui ne la rend que plus profonde.