Giuseppe Penone
Exposé au château de Versailles ainsi qu’à la galerie Marian Goodman, l’artiste italien Giuseppe Penone donne à voir un panorama de sa création aux ramages complexes. Guidé par une dialectique du vivant et de l’inanimé, de l’intérieur et de l’extérieur, de l’organique et du minéral, le représentant de l’Arte Povera depuis la fin des années 70 signe deux parcours d’une splendeur éclatante. Retour sur les racines d’un art riche bien que décrété pauvre.
Un art pauvre bien fastueux
« Penone Versailles », Château de Versailles du 11 juin au 31 octobre 2013. En savoir plus A regarder de près les œuvres de Penone qui jalonnent les deux expositions, Penone Versailles et Le Corps d’un jardin à la galerie parisienne Marian Goodman, il est possible d’interroger l’appartenance de l’artiste aux paradigmes de l’Arte Povera tels qu’ils ont été théorisés par le critique d’art Germano Celant à partir de 1967. Il s’agirait d’un art révolutionnaire — révolution à prendre dans son acception guerrière — profondément anti-consumériste et de surcroît attaché à des matériaux pauvres ; chiffons, rebuts… Le marbre sculpté ou les feuilles d’or qui ornent les arbres de bronze disséminés dans les deux parcours ne font pas particulièrement écho à ces références, voire même, il est évident les contredisent. Le lieu choisi, Versailles, symbole de la richesse, de l’opulence et de la royauté ne va guère plus dans le sens d’un art porté sur la guérilla, tout empreint de révolte, protestataire, s’inscrivant contre toute forme de consommation. Inutile donc de préciser combien s’élargit sous nos yeux la notion d’art pauvre, et cela jusqu’au paradoxe. Consécration, institutionnalisation du reste ne seront jamais synonymes de vindicte et de poing levé. Il n’en reste que ce tournant, pris depuis plus d’une décennie, s’il n’est pas linéaire et conséquent sur le fond car loin de ses buts premiers, convainc absolument par la forme. D’une puissance sans nom, aussi vive que la sève. Aussi implacable et évidente que la vie.Les arbres morts vifs
Le motif récurrent de Giuseppe Penone est sans conteste l’arbre. Un arbre qu’il a pris l’habitude de traquer dans la nature, aidé par une nuée d’admirateurs qui repèrent pour lui de beaux modèles. Arbres foudroyés, déracinés, coupés, biscornus ou lisses… Après acquisition, Penone moule chênes, bouleaux et autres espèces dans du bronze et retravaille la sculpture jusqu’à ce que ce matériau prenne l’apparence du bois originel. Illusion parfaite qui a trompé longtemps les regardeurs car ses troncs de bronze ressemblent à s’y méprendre à celui fait d’écorces, brun, plein d’aspérité, rugueux par endroits. Difficile est d’ailleurs le jeu de la distinction entre bronze et bois car l’artiste expose parfois, mais très rarement, du vrai bois. Trompe-l’oeil et perceptions faussées sont ainsi les attributs d’un travail qui gravite autour de la reconstitution de la nature. Et plus généralement de la vie, de l’organique. Ainsi en est-il de ses blocs de marbre sculptés. Penone a en effet suivi la veine du marbre cherchant à insuffler dans le minéral des formes sinueuses qui font directement écho à l’intérieur d’un corps humain ; veines, flux, boyaux, torsades bosselés, ramifications plus ou moins fines… Il est émouvant de voir à quel point les schémas de l’artiste dessinent sans cesse une dialectique entre vie et mort, animé et inanimé. L’arbre vivant deviendra bronze, le marbre inanimé trouvera forme de vie. Croisements permanents et compénétrations qui rendent toute son acuité à l’essence de la sculpture.
Le geste et l’absence
Que se passe-t-il lorsqu’une main de bronze est plantée, insérée telle une plaie ou une entaille dans le tronc d’un arbre vivant ? Telle est l’expérience à laquelle Penone s’est livré, actuellement mise en lumière par la galerie Marian Goodman. La réponse est aussi surprenante que belle : l’arbre englobe la main de bronze, continue de croître autour d’elle, l’enrobe de son tissu de vie. Victoire de la vie sur la mort ? Il semblerait. Une échographie spectaculaire de l’arbre immortalise cette supériorité rassurante et toute biblique (L’arbre de vie est présent dans le livre de la Genèse). Le bronze à cinq doigts pris au piège par la croissance n’aura pas survécu et aura même à demi disparu. Au-delà de sa signification profondément symbolique, cette sculpture et son image radiographique signent toutes deux le geste d’un créateur en même temps que son effacement, voire son absence ayant choisi de laisser agir l’œuvre par elle-même. Penone n’a pas hésité à se retirer, se soustrayant à la volonté perfectionniste démiurgique habituelle du sculpteur obsédé par l’acte fini, la finitude de la figure. A jamais inerte.
En cela, Penone renoue profondément avec l’art pauvre, d’abord parce qu’il utilise ici la nature comme matériau de base et ensuite parce qu’il est plus habité par le geste créateur que l’objet dans sa forme finale. Cette modalité de présence-absence nourrit constamment les pièces d’un artiste dévoué au dialogue formel de la vie avec son ombre. De la chlorophylle à la tombe.