Édito Soixante — Où est-on ?
Les forces vives de l’art contemporain français battent avec une énergie à la fois jouissive et critique face à des institutions qu’elles redécouvrent. Les galeries parisiennes oscillent entre l’euphorie d’une aura retrouvée — dont Art Basel Paris 2026 pourrait être le point d’orgue — et une crise de confiance (voire de conscience) devant les exigences d’un marché lancé dans une course sans fin à l’investissement.
Alors que les collusions entre art, entreprise, mode, marketing et communication apparaissent parfois comme un simple moyen de survie, l’indépendance des artistes, galeristes, penseurs et éditeurs continue d’infuser un espoir salvateur. Les fonds publics, en berne, peinent à répondre aux cris d’alarme des travailleuses et travailleurs de l’art, dont les interrogations sont devenues le sujet même de nombreuses expositions, malgré les efforts incessants des directions de centres d’art. Les jeunes générations, elles, s’emparent des outils disponibles pour faire rayonner leurs singularités. Et tous, nous participons à la construction d’une conscience critique concomitante au geste. Créer est un privilège, dont la nécessité oblige. Une phase existentielle féconde, nourrie d’introspections en forme de miroirs tendus à une société qui se polarise plus bruyamment qu’hier.
Conséquence inéluctable d’un monde dont les abominables destructions en cours bouleversent jusqu’à notre approche de l’échange : elles interdisent l’atermoiement, freinent parfois l’imaginaire. Car la mort quotidienne des uns, les justifications impossibles des autres nourrissent une dialectique aussitôt étouffée. Artistes, citoyens, penseurs : ni armes, ni décisions de sacrifier des vies au profit d’objectifs politiques ne leur appartiennent. Mais leurs voix comptent, leurs responsabilités aussi. Aucun n’est coupable, et le débat ne se joue plus dans les croyances mais dans la capacité de chacun à mobiliser ses moyens pour rendre sa voix à une justice simple, devenue exceptionnelle à l’ère du châtiment : une vie vaut une vie. Aucun futur ne résistera à la négation de cette confiance en l’avenir, d’où qu’elle s’origine. La création — politique ou non, brillante ou non — maintient ce fil qui nous relie à la possibilité même du sens. Elle doit exister, résonner. Notre enjeu, difficile mais nécessaire, est de lui offrir cet écho. Et de nous assurer que les autoritarismes ne sanctionnent pas les libertés qui restent.
Alors la question « Où va-t-on ? » appelle moins de réponse qu’elle n’exige de position. La résolution à mettre de côté les ressentiments, à traverser les dissensions pour encourager à penser, à se situer, à se souvenir où l’on est et faire des conflits du jour des armes de discussion pour demain.