The Ten Commandments for Gilbert & George
Avec The Ten Commandments for Gilbert & George, le duo anglais porte sa création au rang de principe divin. Se mettant eux-mêmes en scène, ils produisent une vidéo déroutante, où le sérieux et l’implication cache deux des esprits les plus singuliers du 21e siècle.
Grandiloquente, mégalomane, bigarrée, engagée et sexuelle, l’œuvre de Gilbert & George a su faire du sensationnel sa marque de fabrique. Pourtant, à observer les silhouettes de ces deux dandys impeccables indissociables des montages photographiques qu’ils réalisent depuis plus de 40 ans, difficile d’imaginer un tel déploiement de superlatifs. C’est précisément ce paradoxe d’une posture à contre-courant des modes, des méthodes de communication et des attendus du temps alors même qu’elle s’ancre dans les sujets les plus universaux et les plus quotidiens qui fait de leur création un acte de libération totale.
Prisonnières des dizaines de cadres qui les barrent, leurs photographies continuent d’imposer leur efficacité visuelle et critique dans une société qui, si elle n’a plus la pudibonderie réactionnaire des années 60 (les deux artistes démarrent leur collaboration en 1967), ne manque pas d’éveiller le regard caustique et singulier de Gilbert & George. C’est ainsi qu’ils présentent aujourd’hui (jusqu’au 26 mai à la galerie Thaddaeus Ropac) leur dernière série, London Pictures, consacrée aux titres de journaux, dirigeant leur méthode vers la répétition d’un terme dans la somme paranoïaque des unes journalistiques. Entre accumulation et systématique, la mise en scène de cette « spectacularisation » des drames attaque frontalement les outils de la peur et la déviance sécuritaire des sociétés contemporaines.
C’est peut-être au travers de la vidéo The Ten Commandments for Gilbert & George que l’on comprend comment et pourquoi leur posture a su s’adapter aux transformations de la société et comment la constance de leur décalage leur permet de rentrer au plus profond des cicatrices de leurs contemporains, contaminant, au travers d’un art ironique et cinglant, chacun de ses membres en érigeant la jouissance comme principe absolu. Le virus Gilbert & George a ainsi commencé à se disséminer avec Art for All, un ensemble de notes et d’œuvres qui a dirigé leur création, tournée vers la possibilité pour chaque être humain de dépasser la souffrance de sa condition pour embrasser la liberté artistique et s’est imposé, dans ces dix commandements, au rang de religion laïque. Et les artistes n’ont jamais dérogé à ces paroles, distillant dans leurs créations une fabuleuse inventivité qui, dans le cadre imposé de leurs réflexions libertaires, continue de renouveler leur œuvre « divine ». Silhouettes jouant, dans leurs montages, leur propre omnipotence sur le monde, Gilbert & George invitent sans cesse à se libérer des chaînes en tout genre, sociales, politiques ou sexuelles pour rejoindre leur jardin d’Eden, celui-là même où l’art et la vie ne sont plus qu’un, où la création est, depuis longtemps déjà, la seule définition des rapports sociaux.
Le décalogue de Gilbert & George énonce donc les principes suivants :
Tu devras combattre le conformisme / Tu te feras le messager des libertés / Tu devras faire usage du sexe / Tu devras réinventer la vie / Tu créeras un art artificiel / Tu devras avoir une idée du but / Tu ne devras pas savoir exactement ce que tu fais, mais tu devras le faire / Tu devras donner l’amour / Tu devras saisir l’âme / Tu devras donner quelque chose en retour.
Exposition Gilbert & George, London Pictures à la galerie Thaddaeus Ropac du 13 avril au 26 mai 2012.