Xavier Veilhan — La possibilité de l’involution
Certaines expositions ont des allures de prise de position. Avec Orchestra, Xavier Veilhan explore cette modalité dans les règles de l’art. Au contraire d’une simple évolution, c’est une véritable involution qui s’opère ici. Non pas une régression, mais une nouvelle définition du sens de la démarche d’un artiste qui déclinait, ces derniers temps, l’efficacité visuelle de ses procédés. Orchestra est un sursaut de l’intérieur, un décalage du centre gravité d’une démarche installée qui retrouve ici, une formidable fragilité.
Tout commence donc avec Le Monument, arche rouge démesurée, surmontée de sculptures humaines réalistes aux proportions discordantes ainsi que de branchages et de fleurs, réintroduisant l’élément naturel dans son univers. Première nouveauté, ce dialogue heureux opportunément ouvert entre les matériaux où les éléments échangent et affirment leur parfaite complémentarité. Entre agencement architectural et trône mégalomane, Xavier Veilhan retrouve sa véritable singularité, orchestrant l’ambiguïté originelle de sa démarche entre domestique et monumental et découvrant de la plus belle des manières cet imaginaire hors du commun, empruntant autant à l’histoire de l’art qu’à l’histoire du design. Voire à l’histoire de la culture populaire ; Veilhan aborde l’espace comme on fantasmerait un design d’intérieur, folie domestique évoquant immanquablement une quête de gigantisme privatif.
Mais plus encore, poursuivant cette confrontation des matériaux et des supports, l’artiste agence une salle en planifiant le dialogue entre ses Stabiles et une peinture d’arbre sobre et élégante. Une fois encore, Orchestra témoigne d’une volonté d’expérimentation bien inspirée de l’artiste qui parvient à faire montre de sa perspicacité formelle pour renouveler le parc de ses créations en continuant d’y insuffler cette même intelligence esthétique. Comme le témoignage d’une sensibilité retrouvée, voire réaffirmée contrairement aux anciennes pièces qui camouflaient l’artiste derrière la technique, Veilhan ouvre aujourd’hui une porte derrière l’intouchable et revient à une belle proximité, aussi bien avec la figure de l’artiste qu’avec le spectateur.
Une tendance clairement affirmée par l’installation entourant les Pendule Dripping, ces peintures réalisées par le mouvement giratoire d’un poids suspendu par un filin. Plutôt que d’imposer la beauté silencieuse de ces lignes pures tranchant avec le fond uni et d’osciller sur le fil de la technique industrielle impersonnelle, Veilhan installe un dispositif diffusant une de ses tentatives monumentales, dévoilant la mécanique de sa création par le geste. Entre expérimentation physique et création intime, l’œuvre de Veilhan a repris une certaine forme de gravité, et même semble se tourner toute entière vers la force de gravité. Entre les Stabiles, les Pendule Dripping, le Mobile n.4 qui présente des tubes de carbone suspendus à des filins, ou encore l’imposante Turbine en rotation, ancrée au plafond, les sculptures de l’exposition Orchestra jouent indéniablement de la fragilité de l’équilibre, de sa force comme de la possibilité de son renversement.
Et si la série Gorilla, Gorilla, Gorilla exposée en pleine lumière, fonctionne moins bien, ce regard frontal presque vivant qu’elle envoie, depuis les cimaises, n’est pas sans faire écho à la belle simplicité minimale des sculptures Alice et Marine, qui appuient à leur manière, dans leurs nudité sobre et calme, la visée d’une œuvre ayant définitivement renoué avec la personne. Ainsi, à l’image des très efficaces Rayons qui, maintenus au sol par un anneau d’acier, s’étirent jusqu’aux murs de la salle inaugurale de l’exposition, découpant l’espace en autant de cordes d’un instrument aussi gigantesque qu’aphone, la nouvelle symphonie de Veilhan a des allures de chef-d’œuvre tranquille, assumé et bien ancré sur ses nouvelles fondations. Comme en un jeu de miroirs, la réflexion de l’artiste à travers ses propres créations impose définitivement le socle d’une évolution fondamentale.