June Crespo — Crédac, Ivry-sur-Seine
June Crespo, artiste espagnole née en 1982, dont nous avions pu découvrir les intrigantes sculptures fusionnant l’organique au mécanique à la Biennale de Venise 2022, présente sa première exposition en France au Crédac, Rose Trraction.
« June Crespo — Rose Trraction », Le Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry du 21 septembre au 14 décembre. En savoir plus À l’image de son titre, à l’intensité d’une langue qu’elle veut frappante à l’oreille française et associant la nature à la force mécanique, la couleur au geste, elle y dévoile un fascinant cortège de créatures synthétiques dont les corps, abîmés, martelés et rapiécés, s’offrent au regard, témoins stupéfiants d’une vie parallèle, accidentée, parfois encore tendue vers un avenir incertain. Face à elles, des suaires protègent de leur douceur sensuelle de froides structures tubulaires.Le chaud, le froid, le dur et le mou composent un parcours plein d’une sensualité ambiguë. Entre procession, exposition funéraire et immersion en laboratoire, l’accumulation des signes appelle l’imaginaire à sauter les frontières. Tous les ordres de matériaux s’y côtoient, confondant la fonctionnalité de l’outil et sa proximité à notre humanité. Car on le sent bien face à la multitude et à la diversité des gestes qui ont présidé à leur création, c’est d’abord par la sensibilité, par le contact, que la transformation et la génération se rejoignent ici, dessinant dans l’espace d’exposition un ensemble de lignes d’inflexion guidant le regard d’une matière à l’autre en une partition secrète.
Poursuivant la tradition vivace d’une sculpture basque portée, dans la deuxième moitié du XXe siècle, par des figures telles que Julio González ou Eduardo Chillida et leur usage du fer et de l’acier, l’œuvre de Crespo ne manque pourtant pas d’y insuffler une intensité singulière. Filant une trame où les narrations discrètes se conjuguent à des incursions biographiques qui sont autant de balises conceptuelles, le formalisme initial de son univers découvre une histoire de matières, de gestes et d’affects qui passent par la notion de toucher, qu’il soit permis ou non, qu’il apaise ou qu’il menace.
Une synthèse que l’on découvre dans le très beau film projeté en parallèle de l’exposition, qui fixe ce moment de rencontre entre la main et l’œuvre, un processus inversé où la pensée créative semble tenir tout entière dans la manière de caresser, de rencontrer la matière.
Une analogie saisissante qui traduit toute la force de ce travail d’immersion dans le désir organique, dans le plaisir de rendre la souplesse, la plasticité et la dureté du matériau, mais aussi la portée négative du vide. De penser la sculpture en quelque sorte comme une manière de se familiariser avec la matière plutôt que de la dompter, de se laisser transporter intérieurement par ce qu’elle provoque plutôt que de la transformer.