La grotte de l’amitié — La Maréchalerie, Versailles
La Maréchalerie de Versailles fête ses vingt ans avec une exposition pleine de quiétude et d’attention qui explore la pluralité des dimensions poétiques de l’espace pour y déployer un parcours qui mêle onirisme et affectif.
« La grotte de l’amitié », La Maréchalerie, centre d’art contemporain du 17 mai au 12 juillet. En savoir plus Lieu de retraite, de danger ou d’abri, d’isolement et de regroupement, la grotte charrie dans l’imaginaire une multitude de contradictions qui en nourrissent la valeur poétique et contribuent à ériger sa place dans l’histoire, de l’art comme des idées. La configuration de son espace fait sens et ne devient grotte que l’espace qui, pour clos qu’il peut être, conserve une voie de communication, accessible ou accidentée, directe ou diffractée.Avec pour fil conducteur la Merzbau de Kurt Schwitters qui inspire sa scénographie très réussie, l’exposition met donc au centre de la scène cet espace singulier de la Maréchalerie, antre aux volume stupéfiants, à flanc d’une butée qui la place à un niveau non immédiatement compréhensible. Isolé ainsi de toute contrainte géographique, le parcours emmêle les temps et les pratiques pour multiplier les champs d’investigation, de la sculpture à la photographie, de la vidéo à la littérature en passant par la création olfactive. Sous les volutes de lumière projetées par la Dream Machine de Brion Gysin, ampoule entourée d’une structure en rotation, les îlots d’invention que représentent les œuvres de chacun des douze artistes invités évoquent tous un rapport à cette modalité de la grotte comme structure sociale (voire animale) parallèle.
Et ramènent d’une certaine manière, pour la plupart des œuvres présentées, à une forme d’architecture spontanée, qu’un raccourci de langage dirait « naturelle ». Qu’il s’agisse des lambeaux de pelage surmontant des structures tubulaires devenues naturellement fonctionnelles de Marie Bette, des dessins et lignes nées du hasard capturées par le transfert de tables de découpe sur papier de Vincent Ganivet ou la reconstruction d’objets par des ongles, os et autres rebuts de Laurent Le Deunff (autant que la trace photographique d’une de ses grottes fabuleuses également exposée), chaque œuvre invente un rapport à la nature qui l’isole de toute société pour s’approprier une esthétique de l’affect, passant par une sensation communicable à chacun, immédiatement.
De même, dans les arches formées par les sculptures de corps sensuellement emboités de Ben Orkin, dans la mise en perspective plastique de la grotte dans l’image de Charlotte Charbonnel ou dans les éruptions organisées dans les cavités d’une montagne de Balthazar Heisch, les niveaux de lecture et images se superposent dans une forme de glissement, d’empilement qui brouillent les repères.
En quittant, d’une certaine manière, les codes de la société, c’est peut-être chacun des êtres qui peut se retrouver. Dans la grotte, les mêmes sens s’éveillent en un tout autre sens. Le parallèle avec l’art pariétal émerge alors de cette grotte de l’amitié avec une subtilité inattendue, dans le geste et l’intention plus que dans la forme.
Comme une mise en perspective, les inventions formelles fourmillent avec un travail curatorial investi qui met en valeur la documentation (photographie, dessins, etc.) pour l’inscrire dans le projet esthétique et user de l’espace d’exposition comme d’une cavité supplémentaire, célébrant cet esprit de détour et d’isolement réflexif qui n’est qu’en partie individuel. Comme une évidence, chacun tente ici, à la mesure de ses moyens, de laisser une œuvre comme une trace, un espace au monde destiné à se voir approprié par un autre. L’affect, sous toutes ses formes devient l’occupant principal de cet espace et lui seul en garantit la continuité.
De la sorte, le parcours parvient à faire vibrer cette zone d’indécision de la grotte, marquant, ce n’est peut-être pas un hasard puisqu’il est ici question initialement de célébrer un anniversaire, son rapport essentiel à une certaine suspension du temps. Oscillant entre retraite intime, isolement du cours du monde à la recherche de soi et écrin capable de protéger une création destinée à être découverte, dans le futur, par un autre que soi, qui lui sera intimement lié, l’exposition fait ainsi de toute grotte la potentielle communauté d’une invention unique, l’amitié.