Whitney Bedford — Galerie Art : Concept
La galerie Art : Concept présente, jusqu’au 1er avril, une très belle exposition de la peintre Whitney Bedford, Bardo Parade qui brouille les sens et, derrière une beauté mystique et radicale, perturbe les attendus de la représentation.
Whitney Bedford — Bardo Parade @ Art : Concept Gallery from February 10 to April 1, 2017. Learn more Maîtrisant une multitude de techniques à la perfection, Whitney Bedford, artiste états-unienne née en 1976 développe depuis près de dix ans une peinture plurielle qui l’a conduite à intégrer des collections prestigieuses à travers le monde. Une peinture hautement séduisante qui joue des contrastes entre minutie et approximation pour aboutir aujourd’hui à une affirmation de sa singularité à travers des paysages à nuls autres pareils.Il émane des compositions de Whitney Bedford une solitude qui est au cœur de sa démarche, isolant sur la toile (ou le bois qu’elle utilise dans ses derniers travaux) des éléments détachés de leur écosystème. Icebergs, animaux, livres abandonnés, membres isolés et blessés, ses sujets variés témoignent bien souvent d’une fragilité ou d’un danger à venir. Habitée et soufflant un vent de romantisme, sa peinture emprunte à la tradition artistique autant qu’à l’imaginaire pour nous plonger dans un univers dont elle redéfinit les règles. Le beau flirte chez elle avec l’horreur, le sublime, objet d’étude et d’expérimentation, se fait source d’épuisement. Avec cette nouvelle exposition, Whitney Bedford explore le Bardo, cet état de conscience alternatif développé dans certaines obédiences du bouddhisme. Après avoir présenté Arcadia, terre utopique d’harmonie, en 2008 dans cette même galerie, c’est donc à un nouveau pan légendaire que l’artiste se confronte.
Lié à la mort, mais aussi au sommeil, le bardo renvoie à la vie d’un esprit abstrait du corps, en attente d’incarnation. Il exclut ainsi le corps, mais pas le sentiment. À l’image des peintures de Whitney Bedford dont les traits, d’une finesse remarquable, se voient affublés de traces expressionnistes approximatives qui dynamitent le réalisme pour figurer l’adaptation, la focale du regard en mouvement. Sa nature foisonnante de détails se déploie sur des fonds minimalistes, composés d’une à deux couleurs qui inventent des paysages-paradoxes. Ceux-ci renvoient immanquablement à la flore du désert américain, ces épais branchages qui sont autant d’îlots de résistance à la force de désolation d’une sécheresse, sans chaleur mais tout aussi impitoyable.
Bardo Parade rend ainsi compte d’un œuvre aussi frontal que profond qui convainc d’emblée par sa capacité à créer un vocabulaire graphique au carrefour d’une multitude de genres et d’influences. Entre complexité et épure, Whitney Bedford invente un paysagisme radical qu’on ne peut que longer sans jamais saisir l’opportunité d’en pénétrer la nature plane. Dépouillée de toute perspective, elle se fait décor immobile d’un songe irréel et immatériel, paroi symbolique d’une route que l’esprit ne peut observer qu’à la dérobade, emporté dans un élan qui pourrait bien être celui du bardo.
Alors cette parade qu’évoque le titre de son exposition pourrait tout aussi bien se voir déjouée en une fixité qui ferait du regard dans le voyage psychique ce qui, par son mouvement, défile sous nos yeux. Ici, le fond recouvre littéralement le motif ; la peinture qui le figure, plus épaisse, est comme creusée par le premier plan, renversant avec délice la perspective. Comme inversée, la représentation serait alors le négatif d’une image perçue d’un autre côté, accentuant ce sentiment d’être témoin du regard d’un autre. La réactivation, au cœur de cette présentation, d’une série précédente avec un bateau pris dans la tempête vient s’intégrer à la rumeur d’un monde ballotté et proche de chavirer. Un dernier retournement qui fait de chacun des tableaux le miroir vertigineux d’un imaginaire qui nous laisse sur le bord de la route, révélant ainsi toute sa cruelle beauté.