Aterrir — La terre au centre — La Ferme du Buisson, Noisiel
Julie Sicault Maillé, curatrice de l’exposition Aterrir — La terre au centre fait ressurgir l’histoire du site de la Ferme du Buisson, ancienne ferme briarde et ferme agricole de la famille Menier (les célèbres chocolatiers). Suite à son expérience au Domaine de Chamarande, elle poursuit ici sa réflexion sur les questions liées au paysage et réfléchit à la pensée écologique.
De nos jours, les préoccupations liées à la terre et le besoin de se reconnecter à cette matière, ressource, fleurissent et sont au cœur de nombreuses initiatives. De nouvelles façons d’envisager notre alimentation émergent également. Notre relation à la terre est corrélée à nos manières de prendre soin du vivant. Cette exposition réunit un ensemble d’artistes soucieux des enjeux liés au changement climatique et à la biodiversité. Certains nous dévoilent des œuvres réalisées à la suite d’expériences de terrain. D’autres font de la terre leur médium de travail pour nous amener à découvrir ses qualités et propriétés en fonction des lieux, ou bien nous conduisent à nous questionner sur le devenir de paysages entre ville et campagne.
L’exposition démarre en extérieur avec une installation de Laure Tixier, plantée sur un terrain engazonné. Le Potager est composé d’un ensemble de sculptures de petits pavillons en béton coloré, réalisées lors d’une résidence de l’artiste au Domaine Départemental de Chamarande en 2009. Le parcours de l’exposition nous incite ensuite à appréhender différents territoires et projets au long cours d’artistes sensibles aux problématiques des transitions entre urbanisation et préservation de terrains agricoles. Nous explorons les espaces quelque peu labyrinthiques de la Ferme et découvrons pas à pas des œuvres de différents médiums, nous conduisant à appréhender chaque contexte de création.
Baptiste Brévart et Guillaume Ettlinger furent en résidence de recherches à la Ferme du Buisson. Ils se sont intéressés au Nicaragua, pays connu pour un volcan volcanique et ont établi des correspondances avec l’histoire de la ferme. Leur installation se compose de dessins à l’encre, d’une œuvre murale, d’une série de sculptures et de sérigraphies sur papier. Leurs œuvres tissent des connexions entre deux territoires très éloignés. Réalité et fiction s’interpénètrent et nous sommes incités à nous questionner sur le cheminement qu’ils ont entrepris lors leur quête. Durant l’exposition, ils proposent plusieurs moments de rencontre avec le public afin d’arpenter la ville de Noisiel et de raconter des histoires entre nature et agriculture.
En descendant quelques marches, notre regard est attiré par le grand dessin d’une belle finesse, à l’encre de Chine, de Camille Goujon. Une ville du futur repose sur des racines formant un réseau organisé. L’artiste pointe le développement des métropoles qui, à mesure qu’elles s’étendent, empêchent la croissance d’une biodiversité. Rachel Labastie a fait de la terre son matériau de prédilection, ses œuvres se rattachent à des histoires vécues. Ses bottes en céramique en grès enfumé parlent à tous, symboles du travail de l’agriculteur, du jardin mais aussi de la vie à l’atelier. Les matières utilisées par l’artiste gardent en elles la mémoire de gestes. La terre est aussi l’élément de prédilection de Koichi Kurita, qui explore le monde pour constituer une bibliothèque de ce matériau. En contemplant cette œuvre digne d’être dans un cabinet de curiosités, nous portons notre regard sur les territoires que nous parcourons. L’artiste nous invite alors à découvrir la diversité chromatique des sols qui témoigne des morphologies des paysages.
Dans un tout autre registre plastique, les dessins Urbi et Orbi de Martin Etienne, réalisés à partir d’une pensée prospective du philosophe Sébastien Marot, rendent compte de plusieurs scénarios de développement entre territoires urbains et ruraux. Ses œuvres sur papier nous font réfléchir sur les possibles relations entre ville et campagne. Le monde de la vigne intéresse Anthony Duchêne. Paysages à boire, son travail au long cours nous convie à prêter attention au travail de paysans-vignerons. À travers un corpus d’œuvres de différentes techniques, l’artiste raconte la vie de ces producteurs de vins naturels qui s’impliquent dans la conservation de la biodiversité. Ses œuvres d’une grande finesse racontent les soins portés à la vigne. Les cinq aquarelles sur papier de Laure Tixier qui furent à l’origine de son installation présentent les divers types de semis en reprenant l’esthétique d’organisation du potager.
Les artistes portent ici leur intérêt sur la composition des espaces en prenant le temps d’arpenter les territoires. Avec un regard affiné, ils mettent en place des protocoles, leur permettant d’aller à la rencontre des lieux, de leur géographie et de leur histoire.
Anaïs Tondeur explore les paysages, réalise des enquêtes de terrain en collaborant avec différents spécialistes, afin de nous amener à nous responsabiliser quant à nos actes vis-à-vis de la terre. Son installation audiovisuelle nommée Hanter les lisières, conçue avec l’anthropologue Germain Meulemans en 2018 nous offre l’occasion de découvrir des pratiques de sorcelleries élaborées à partir de végétaux du plateau de Saclay. Suspendues, des plantes provenant de ce territoire invitent à reprendre contact avec une biodiversité en cours de disparition.
Les œuvres de Cynthia Montier ponctuent les murs de l’espace d’exposition, nous amenant à regarder là où l’on n’a que peu l’habitude de s’arrêter. L’artiste chercheuse a récolté des récits et savoir-faire auprès de communautés du territoire lors d’un séjour à Noisiel. Ses objets parlent de la mémoire d’un lieu et de personnes qui ont contribué à son travail artistique. Celui-ci sera activé courant janvier.
Etienne de France, lui aussi, a pris le temps d’observer des territoires (la Marne et Chelles), attentif à la relation entre architecture et agriculture. Solifluxion, son installation créée spécifiquement pour l’exposition donne à penser un paysage agricole du futur. L’artiste incite à prendre le temps d’analyser des images, le passage du temps, des traces archéologiques. Son travail est nourri de ses découvertes et des ressources des lieux qu’il a parcourus.
Dans le film réalisé par le Nouveau Ministère de l’Agriculture, fondé par Stéphanie Sagot et Suzanne Husky, Hervé Coves, ingénieur agronome et mycologue franciscain nous propose quatre principes respectueux pour honorer la terre. Ses propos nous guident vers de nouvelles manières de repenser le monde dans lequel nous vivons.
Ainsi, cette exposition met en lumière les problématiques actuelles d’une urbanisation grandissante. Elle révèle un besoin de retrouver une proximité avec la terre et les pratiques d’un monde agricole, qui persiste. Un soin porté au vivant et à la transmission des récits de génération en génération surgit également au travers des œuvres. Les artistes prennent le temps d’être au plus près de la nature, d’explorer des territoires ruraux afin de mettre en lumière la richesse d’une biodiversité à préserver. Aterrir — La terre au centre, inscrite dans un ensemble de projets liés à la terre et au vivant est l’occasion, pour la curatrice « de semer des graines ». Nous sommes invités à explorer des paysages en appréciant le travail de ceux qui les façonnent. Nous sommes alors conviés à nous souvenir de connexions à la terre et à retrouver une relation au cycle de la nature, à apprécier également la diversité des propositions des artistes attentifs à notre environnement qui se transforme ; leurs travaux stimulent nos interrogations sur les interactions entre l’homme et le vivant.
Cette exposition met nos sens en éveil, nous convie à prendre soin de nos terres et surtout nous incite à redécouvrir ceux qui les cultivent avec le plus grand respect.