Bernard Bazile — Galerie mfc — michèle didier
Figure de la scène contemporaine de la deuxième moitié du XXe siècle, Bernard Bazile développe depuis les années 1980 un œuvre empreint d’humour et de réflexion qui explore nos comportements autant qu’il en révèle les paradoxes et contraintes ; la galerie mfc — michèle didier consacre une exposition à sa série 3615.
C’est ainsi autour des affiches d’espaces de rencontres virtuels via Minitel Rose qui fleurissent dans toute la France, couvrant les parois des centre-villes jusqu’aux ronds-points les plus éloignés tout espace disponible, que se concentre cette exposition. Avec une thématique esthétique bien entendue, l’affiche doit stimuler le désir d’un public principalement masculin et donner le ton tout en affichant le code d’accès. Si nombre d’entre ces « services » furent des arnaques à la connexion encourageant leurs visiteurs à rester en ligne le plus longtemps possible à l’aide d’opérateurs habiles à inventer des conversations aguicheuses, « 3615 Ulla », « 3615 CUM » sont devenus des slogans qui n’ont jamais quitté les souvenirs des Français les ayant croisés.
La force de ces photos, témoignant d’un art de la communication d’une vulgarité égale à l’étendue de leur déploiement sur le territoire fait aujourd’hui osciller entre un rappel doux-amer d’une époque révolue, d’une « liberté » qui n’hésitait pas à faire de l’image du corps un objet d’appel réduit au fantasme de celui qui l’observe. Mais souligne aussi la terrible dichotomie entre l’innovation technologique d’alors associée à son obsolescence du jour, l’invention à la chaîne de compositions graphiques ancrées dans leur temps. C’est bien plus la collection compulsive, l’amoncellement systématique de telles images, la pathologie d’une récollection de ces produits d’appel qui ont fait les beaux jours d’entrepreneurs peu soucieux de la qualité, de l’intelligence et de l’impact de leurs outils pour autant que le retour sur investissement en valait l’essai.
Et avec sa truculence habituelle, Bernard Bazile nous projette, depuis l’extérieur, dans cette occupation de l’espace public en habillant, comme en écho aux pratiques d’alors, la façade la galerie, y apposant, à l’aide d’une police sobre, la mention « 3615 » accompagnée de prénoms pas forcément étrangers à l’équipe du lieu qu’il occupe. L’évocation du code même, accolé à un prénom, suffit à faire émerger ces temps oubliés. Avec une habileté soulevée par les organisatrices de la galerie, cette plongée dans une saturation de l’espace par les corps idéalisés d’une sexualité industrielle (nombreuses images employées provenant de stocks photographiques d’alors destinés à l’illustration de publicités et/ou de couvertures de magazines, livres érotiques, etc.) témoigne d’une mise en dialogue publique des pulsions et désirs qui, pour irréels, qu’ils soient, ne manquent pas de provoquer des interactions. Saisissantes, les images de Bazile documentent des interventions à même l’affiche, par des anonymes, tissant des liens impossibles, des appels dans le vide vers des êtres de papier. L’imaginaire, pour répulsif qu’il soit, actualise sa frustration en s’extériorisant, comme un cri primal qui nous dit beaucoup des silences d’aujourd’hui. Si la vulgarité et la réification du corps féminin sont loin d’avoir quitté l’espace public, leur manifestation emprunte des biais différents, souvent moins exposés aux yeux de tous. Véritables témoignages d’évolutions sociologiques, le catalogue de Bernard Bazile établit une cartographie de la communication de masse autant qu’une preuve de sa capacité à se métamorphoser et à s’adapter aux attendus de la société.
D’un vertige de vulgarité teinté de pathétisme, la série d’images de Bazile révèle en contre-jour une sombre réalité qui ne cesse de parcourir la société et nourrit, à sa manière, des imaginaires que les raisons de la communication et du commerce continuent de façonner.
La galerie sera fermée du 23 décembre au 2 janvier