Biennale de Belleville 2014
Avec cette nouvelle édition, la Biennale de Belleville poursuit et précise sa réflexion autour d’un projet singulier, créer une proposition artistique au cœur d’un territoire géographique aussi bien marqué par ses racines populaires qu’évocateur d’une culture en marche tant il attire artistes, curateurs et galeries.
Radicale, la proposition de cette biennale 2014 assume la réalité du terrain et, plutôt que d’imposer des œuvres d’art contemporain dans l’espace public à la manière d’une manifestation traditionnelle, se sert de la ville pour faire émerger l’œuvre. Performances et itinéraires pédestres deviennent ainsi les fers de lance d’une biennale expérimentale dans tous les sens du terme ; une biennale qui expérimente les modalités de sa diffusion autant qu’elle se mue en un générateur d’expériences pour un visiteur, certes guidé, mais en aucun cas assisté.
« Biennale de Belleville — 3ème édition », Pavillon Carré de Baudouin du 25 septembre au 26 octobre 2014. En savoir plus À la suite d’artistes « marcheurs » et de leur figure de proue Hamish Fulton, la biennale creuse le sillon d’une démarche artistique qui dépasse la notion d’œuvre pour penser la place de l’art dans la cité, un art qui n’a rien d’importé mais qui se fait ici, en lien avec son territoire. Car répondre à la question de sa diffusion au public reste un enjeu majeur de la création contemporaine. Raison sans doute pour laquelle la liste des intervenants dépasse le monde artistique institutionnel avec les Hors Circuits de Jacques Clayssen & Patrick Laforet, ces marches à travers la banlieue Nord de Paris, le long de routes dessinées pour les transports automobiles et saisissant, en leur sein, la possibilité pour les piétons de se réapproprier des espaces urbains par définition hostiles. En écho à cette marche, Capucine Vever a créé un voyage imaginaire actionnant, à l’aide d’une application mobile, une série de pièces sonores déclenchées selon la localisation du spectateur dans la ville. En ce sens, s’il s’agit bien d’une biennale de la marche, on entrevoit surtout une pensée de « l’écriture », du parcours et de la ligne qui s’inscrit dans le territoire, qu’elle soit pérenne ou non ; une écriture qui n’existe que par sa performance, son actualisation.Ce que révèle la seule « véritable » exposition de ce programme au Pavillon carré de Baudouin, qui permet d’entrer dans la problématique initiale avec la mise en perspectives d’œuvres des années 80 (Hamish Fulton, Richard Long) pour évoquer la marche et la déambulation dans l’histoire de l’art. Une question qui permet d’appréhender également les modalités de la retranscription de l’expérience. Que reste-t-il en effet du voyage ? Qu’est-ce que raconter une marche ? Le parcours de Dector & Dupuy, rendu au long d’une vidéo hypnotisante (meRde) revisite la ville en y cherchant comment remettre en fonction des objets qui n’en ont plus. Délicieuse invitation à l’invention, la déambulation révèle un rapport au monde renouvelé, faisant de chaque élément une invention possible. En quelque sorte, le mouvement redéfinit la vision, la création d’images. Laissant également une certaine place à la procession (la très belle vidéo d’Enrique Ramírez), l’exposition parvient à mettre en perspective la place du corps dans le monde, cette idée d’une communauté possible dans la somme des subjectivités en mouvement dans cette activité aussi solitaire qu’universelle, la marche à pieds.
Avec sa somme de performances et d’événements éphémères, la biennale s’approprie une morphologie dématérialisée qui recoupe la question du voyage, cette expérience qui ne se vit que dans le moment de sa concrétisation. « Déterritorialisé », le projet global de l’exposition se voit accompagné d’une multitude de satellites en mouvement, gravitant spatialement et temporellement autour d’elle. Retrouver finalement l’art au détour du chemin et rappeler un point essentiel de sa nature, celui de n’exister qu’à mesure qu’il se rencontre.