Calais, témoigner de la jungle — Centre Pompidou
Le Centre Pompidou propose une exposition qui, derrière son sujet précis, invite à repenser les modalités de son propre regard. En invitant un artiste, Bruno Serralongue à confronter son travail à celui des photographes de l’AFP et des habitants, Calais, témoigner de la jungle établit un pont concret et pertinent autour de la notion d’œuvre.
Précisément dans cette triple perspective d’un artiste privilégiant le temps long, donnant une matière humaine et, par essence, empathique à ses images, d’un recueil documentaire des images de l’AFP aspirant à l’objectivité et les témoignages des habitants, l’exposition révèle une force descriptive inédite. On ne peut alors que saluer l’initiative et la confrontation d’images pour démultiplier les perspectives et ainsi, peut-être, parvenir à s’approcher d’une vérité de l’événement, celle-là même que chaque entreprise autonome et autocentrée ne parvient pas à faire émerger.
Dans le reflet, dans l’écho de ces regards différents s’applique en image la formulation de l’impossible vérité du moment, la transcription fidèle du réel par le témoignage pour laisser émerger des moments qui portent chacun, sans les livrer, leurs vérités. La force même des images, des icônes et souvenirs s’emmêlent pour nous dire toujours plus de la matière photographique à travers des réflexions et analyses d’observateurs.
Tout ici se donne avec une frontalité qui, bien plus qu’un brûlot érigeant des valeurs devenues inaudibles, contourne le vacarme en imposant son silence du réel, plus puissant que toute polémique. De fait, il réintègre un ordre bouleversant dans la hiérarchie de la réaction, plongeant le spectateur avant tout de l’autre côté de lui-même, de l’autre côté de la photographie, au plus près d’un lieu qui, pour fantasmé qu’il soit, n’en demeurait pas moins tangible, persistant et bien réel. À tous ceux qui ne veulent pas, il offre à voir, à percevoir la pesanteur d’une situation qui n’a besoin ni de glorification épique, ni de mépris réducteur ; derrière la pensée magique, derrière les opinions et avis qui sont autant de pare-feu à la compréhension même de l’existence de drames, Serralongue, l’AFP et les habitants rappellent que ce réel dure, se répète et se transforme chaque seconde, se prolonge et impacte toutes ces vies autant qu’il devrait impacter les nôtres, en continu, dans sa pure réalité qu’aucun qualificatif, jugement ou opinion ne saurait et n’a su annuler.
Autour d’un événement terrible, d’une réalité aussi insupportable pour ceux qui y sont plongés que fantasmée par ceux qui la pensent de loin, l’exposition élève les voix et dessine des voies possibles à la lecture d’un monde toujours aussi irréductible à une seule perspective. L’engagement de tous ces acteurs devient alors performatif et, loin de la parole engagée qui se noie dans la litanie des polémiques, engage physiquement dans son sillon tous les visiteurs pour faire d’eux, à leur tour, de nouveaux témoins dont la responsabilité, enfin, se voit engagée.