Delphine Coindet — Le Crédac, Ivry
Les œuvres, pour la plupart sculpturales, de Delphine Coindet interrogent depuis vingt ans les codes de la représentation, confrontant l’art au design et questionnant sa représentation. Dix ans après La Belle Hypothèse, l’artiste revient au Crédac avec Modes & usages de l’art.
Une utopie qui se retrouve également dans le geste d’une création en série d’objets uniques. Plus encore donc qu’une exploration des matériaux et des formes, l’art de Delphine Coindet impose le recul face à son mode de production, comme elle le rappelle elle-même : « Je crois aussi que l’adéquation entre le processus de fabrication et sa forme aboutie est pour beaucoup dans la pertinence et la singularité d’un objet. » Charriant avec elles leur simplicité formelle, les œuvres de Modes et usages de l’art opèrent un dialogue entre objet d’art et objet utilitaire. Ainsi, face au verre, l’artiste dresse des « portraits » d’héroïnes réalisés à partir de collages autour d’éventails. Leurs titres évocateurs (Cassandre, Diane, Psyché) soulignent la tension d’un projet visant à « figurer » un mythe à travers un objet décliné. La seconde salle a, quant à elle, des allures de lobby où des sculpture de bois comme autant de porte-manteaux en lévitation côtoient des chapeaux melon suspendus dans les airs. Difficile de ne pas voir ici une allusion directe au surréalisme de Magritte et à sa réflexion avant-gardiste au sujet d’un monde dominé par ses objets. Dépouillés de leur fonctionnalité, les chapeaux en verre ne sont plus portés mais « supportés » par des fils et révèlent la pureté de leur forme, par opposition au à l’irrégularité du monde extérieur. Symboles de la rationalisation humaine, ils partagent également par métaphore filée l’exposition entre ce « dehors » peuplé d’éventails et d’architectures et l’espace domestique que construira la troisième salle. À leur côté, une silhouette effondrée ne se regardera jamais plus dans le miroir « œil de sorcière » accroché au mur. De ce paysage surréel émerge une étrange atmosphère d’abandon, écho à la contradiction essentielle du titre de la salle, « Narcisse et les autres », ou la nécessaire perte d’équilibre de l’être humain dans ce passage de l’intime au collectif, et inversement.
Ce sont ainsi des cordes peintes qui accueillent le visiteur dans une dernière salle où les murs, ornés de planches du « calendrier anarchiste » de l’artiste offrent un écho jubilatoire aux posters de motivation qui peuplent nos intérieurs professionnels et intimes. Ici, dans cette rencontre entre « physique et spiritualité », tout porte à la réflexion. Les cordes colorées renvoient aux jeux sportifs autant qu’aux couleurs primaires de De Stijl ou du Bauhaus, mais créent également un motif de spatialisation souple, une succession de lignes mentales, à l’opposée des frontières matérielles des objets. Enfin une sculpture supportant une boule d’exercice de Pilates fait se rejoindre avec humour le triomphe du corps « en forme » avec la sacralité de la forme sphérique qui aurait tout d’un monument minimal pour architecture utopique.
En alternant ainsi une mise en scène colorée et des environnements âpres, Delphine Coindet installe au Crédac un univers ambigu où les manques et autres « défauts » parlent, où l’histoire se raconte aussi bien à travers le visible que dans ce qui lui permet d’exister et, in fine, d’être utilisée.