« DRAWING NOW — Le salon du dessin contemporain a 10 ans ! », Carreau du Temple du 30 mars au 3 avril 2016.
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De l’espace, des découvertes et une scénographie maîtrisée (jusque dans le sous-sol) ont fait de ce salon l’une des attractions principales de ce week-end qui parvient à faire se rencontrer les valeurs montantes de la jeune scène française et des artistes plus confirmés qui, à travers le dessin, nous offrent un regard neuf sur leur création, un accès plus direct à leur trait, dans un ensemble de très haute tenue.
Et, si l’on accepte le principe de liberté au profit de la proposition, la séduction opère immédiatement. On retrouve proprement tous les matériaux imaginables, de la gouache au stylo-bille, de l’encre au collage et autres pratiques le long des stands et la quasi-totalité recèle en effet au moins une œuvre ou un artiste réjouissant.
La vitalité, l’ambiance générale et les propositions, aussi inattendues qu’audacieuses placent ainsi Drawing Now à part dans le concert des foires et la direction artistique, maîtrisée et cohérente ne peut que promettre le meilleur pour les années à venir. D’ici là, nous vous présentons notre sélection des œuvres marquantes et des incontournables à l’image de l’événement, plurielle et riche.
Gilles Aillaud — Galerie Loevenbruck, Paris
Gilles Aillaud, Crocodile, 1972 — Aquarelle sur papier, 50 x 65 cm
Collection privée © ADAGP, Paris 2016 — Courtesy galerie Loevenbruck, Paris — Photo : Fabrice Gousset
Peintre, auteur et scénographe, Gilles Aillaud a laissé derrière lui une œuvre prolixe et complexe qui dépasse les cadres imposés et notamment sa trop restrictive affiliation à la Nouvelle Figuration et à la Figuration libre. C’est que la conjonction de sa passion pour la peinture animalière à l’ironie farouche de sa vision du musée comme un zoo n’a cessé d’alimenter et de complexifier une pratique protéiforme où les sentiments se mènent à la précision du trait. De la sorte, chaque composition semble ouvrir un monde singulier où l’instinct animal tantôt se heurte à la froide réalité de son enfermement, tantôt s’affirme et se meut en toute indépendance, poursuivant sa propre nécessité. L’ensemble de ses dessins présentés par la galerie Loevenbruck, saisissant, rappelle l’urgence de redécouvrir en profondeur l’œuvre de cet artiste invariablement étonnant.
Lionel Sabatté — Galerie C, Neuchâtel, Suisse
Lionel Sabatté, Embryon d’un éléphant, 2016 — Solution à base de fer et bronze oxydés et acrylique sur papier arches, 18x26cm
Courtesy galerie C, Neuchâtel, Suisse
À mi-chemin entre les sculptures et les peintures qu’il développe depuis plusieurs années, les dessins de Lionel Sabatté offrent une synthèse passionnante de sa pratique. Ici encore, les matériaux sont déterminants et, utilisant une solution à base de fer et d’oxygène, il produit une rouille qui donne littéralement corps à ses figures animales. Ses créatures sur papier, ainsi liées au métal traditionnel de la sculpture, composent un bestiaire qui mêle l’organique au minéral, créant une rencontre foudroyante entre le geste artistique et la vie des matières, entre la tentative de représentation et ce qui s’en échappe pour toucher, en définitive, à la poésie d’une émergence artistique, pure singularité que la perception s’approprie.
Marlène Mocquet — Galerie Laurent Godin, Paris
Marlène Mocquet, Ciel blessé,2016 -Email à froid, décalcomanie, crayon de couleur, encre, plâtre, résine vinylique, 21x29cm
Courtesy galerie Laurent Godin, Paris
Dans l’univers de Marlène Mocquet, les visages extatiques sont graves et les figures humaines, inquiétantes, nous renvoient à nos peurs d’enfant comme à notre difficulté à mettre en mot les angoisses du présent. Développant depuis une dizaine d’années un vocabulaire oscillant entre onirisme abstrait et figuration « surréelle », les compositions de l’artiste explorent avec une belle cohérence un imaginaire fantastique et saisissant dont la cohérence, jusque dans son évolution, continue d’imposer aujourd’hui la beauté singulière.
Taroop & Glabel — Galerie Semiose, Paris
Taroop & Glabel, À Mike Diana, 1998 — Encre de chine sur papier, 42 x 55 cm
Photo A. Mole — Courtesy Semiose galerie, Paris
Le collectif anonyme Taroop & Glabel poursuit l’édification de ses “pensées” militantes, jouissives et décalées, dont on avait pu voir un bel aperçu l’an dernier à la Maison des Arts de Malakoff, en déjouant pourtant toute tentative réductrice ; Taroop & Glabel ne respectent rien, nous sommes prévenus. Explosifs, irrévérencieux et libres, les dessins présentés par la galerie Semiose sonnent comme autant de déclarations de guerre à l’immobilisme et au confort moderne, aussi bien qu’aux illusions passées (voire aux fantasmes futurs…). Accompagnant leurs figures simples de slogans décalés, le collectif anonyme Taroop & Glabel se fond en une entreprise de dérision où humour potache et associations drolatiques répondent également, de manière artisanale, à la culture du détournement initiée par le Pop Art et prolongée aujourd’hui par les outils numériques pour, à son tour, user de sa liberté aussi bien que la flageller, la déshonorer et, au final, parvenir à toujours plus l’exalter.
Jochen Gerner — Galerie Anne Barrault, Paris
Jochen Gerner, La Toundra, 2016 — Dessin, peinture acrylique sur support imprimé, 56 x 75,8 cm
Courtesy galerie Anne Barrault, Paris
Figure de la bande dessinée indépendante officiant au sein de l’OuBaPo (Ouvroir de bande dessinée potentielle), Jochen Gerner marque immédiatement par son sens aigu de la composition et le minimalisme de son trait. Passé par la presse, l’illustration de la bande dessinée, il fait de son œuvre picturale une réflexion concrète autour de l’image. Convoquant des références multiples, jouant sur l’effacement et l’appropriation, chacune de ses compositions se fait laboratoire hétéroclite d’une création sensible ou la fantaisie révèle un onirisme dont la discrétion et la pertinence font le charme.
Werner Büttner — Galerie Eva Meyer, Paris
Werner Büttner, Rabauken. Série Désastres de la démocratie, 1989 — Crayon sur papier, 44 x 35 cm, pièce unique
Courtesy Werner Büttner — Galerie Eva Meyer, Paris, n° Inv. WBU20131120
Issus de la série
Désastres de la démocratie, les dessins de Werner Büttner nous plongent dans un monde étrange où figures animales, silhouettes humaines et chimères s’opposent et se fondent en une succession de chorégraphies dégénérées et inquiétantes. Les visions absurdes qui en découlent témoignent de l’imaginaire passionnant et de l’intelligence d’un artiste qui multiplie les références et rend un hommage tout en ironie jouissive aux
Désastres de la guerre de Francisco de Goya.
Giulia Andreani, Galerie Maïa Muller, Paris
Giulia Andreani, Legs! 2016 — Aquarelle sur papier, 26 x 18 cm
Courtesy de l’artiste et galerie Maïa Muller, Paris
Usant des motifs comme autant de collages qui délitent les frontières d’une histoire qu’elle confronte sans cesse à son propre regard et à ses propres recherches, Giulia Andreani recompose des fragments d’un monde éclaté et plastique au sein duquel l’imaginaire et de la mémoire constituent les indicateurs d’une temporalité réinventée, où le présent se fait lieu d’avènement plus que d’événement, pure espèce d’espace en gestation. En cela, chaque œuvre de Giulia Andreani déjoue sa propre unicité pour s’inscrire plastiquement et formellement dans une suite logique de rêves sans fins, où les références historiques se fondent, à travers leur figuration, comme une réminiscence sensible dont les effets sont de nouveau présents.
François Morellet — Galerie Aline Vidal, Paris
François Morellet, Tirets 1cm dont l’espacement augmente à chaque rangée de 1 cm, 1975
Courtesy galerie Aline Vidal, Paris
Artiste majeur dont on connaît mieux les installations et autres compositions sculpturales, François Morellet (dont s’est achevée il y a peu la superbe exposition au Mac/Val) constitue l’une des belles surprises de ce salon avec la présentation de certains dessins qui révèlent toute la force visuelle de sa composition. Entre principe géométrique simple et abstraction pure,
Tirets offre une image d’une beauté sidérante, simplement composée de quelques traits dont la disposition révèle la force infinie du dessin.
Nikita Alexeev — Galerie Iragui, Moscou, Russie
Nikita Alexeev, Dessins dialectiques, Pourquoi, Parce que, Alors
Courtesy galerie Iragui, Moscou
La galerie Iragui propose un accrochage très séduisant tiré d’une série réalisée en Grèce par Nikita Alexeev, artiste russe né en 1953 qui fut membre, dans les années 70, du groupe « Action collective ». Artiste reconnu sur la scène internationale, il met ici en scène de simples morceaux de bois qui trouvent une grâce singulière, accolés à la progression dialectique éponyme : Pourquoi, Parce que, Alors. En mélangeant méticulosité du trait au premier plan et un minimalisme du plus bel effet pour le paysage, Alexeev crée des images qui revêtent une beauté troublante, oscillant entre hyperréalisme et pure abstraction. Une dualité à l’œuvre dans sa démarche qui frise souvent l’absurde pour mieux renvoyer l’écho d’un réel qui nous échappe.