Entretien — Sébastien Planas, directeur du FILAF
Du 28 juin au 1er juillet est organisé à Perpignan la seconde édition du FILAF (Festival international du Livre d’art et du Film). Avec pour présidente d’honneur Catherine Millet et une invitée d’honneur telle que Nathalie Heinich, le FILAF affirme ses ambitions et devient un rendez-vous incontournable pour producteurs et éditeurs d’art. Compétition autant que salon destiné à présenter les meilleurs livres et films de l’année sur l’art, ce festival unique au monde joue sur deux tableaux : exigence et transmission. Un pari ambitieux que nous détaille son président, Sébastien Planas.
Guillaume Benoit : De quel constat est né le projet du Festival international du Livre d’art et du Film ?
Sébastien Planas : Le projet est né autour de discussions d’acteurs du monde de l’art. Nous sommes partis de ce constat que les visiteurs du musée Guimet, du Palais de Tokyo ou encore du musée d’Art moderne de Paris sont très rarement les mêmes. Il n’y a qu’un point commun, il s’agit du livre et du film. Le public se retrouve toujours autour de la lecture, de la consultation et du supplément d’information. Dans tous les musées, il y a toujours une librairie qui vend livres et films. Nous avons donc pensé qu’il serait intéressant que des auteurs se retrouvent autour d’un événement pour parler de ces sujets qu’ils maîtrisent parfaitement.
Donc l’une des idées essentielles du festival est de partager la connaissance autour du monde de l’art ?
Oui, l’idée du festival c’est vraiment de partager. En général, meilleurs sont les auteurs, plus ils sont aptes à parler simplement de leur sujet, qu’il s’agisse de livres ou de films. Je pense par exemple à ce film d’Adrian Maben sur Helmut Newton qui fait pénétrer dans son univers, dans son intimité et dans sa vie comme aucune exposition ni même aucun livre n’ont jamais pu le faire. Ce genre de travail montre à quel point livres, films et expositions sont complémentaires. En ce sens, il nous paraît indispensable d’associer les deux.
N’y a t-il pas d’équivalent, en France ou à l’étranger, de ce festival du livre d’art et du film ?
Malheureusement non. Il y a partout des festivals de livres policiers, de films, mais rien en matière de livres ou films d’art, nous n’avons pas ou que peu de références, hormis le Salon du livre… Il y a bien sûr des prix attribués aux livres d’art lors de certains événements mais, pour ce qui est des festivals, la démarche est inédite. De même, notre indépendance nous autorise à faire ce que personne ne fait en matière de publications et films sur l’art : nous regardons toutes les sorties des éditeurs et nous les sélectionnons au lieu de demander aux éditeurs quel livre ils souhaitent présenter en compétition. C’est un tout petit festival mais on essaye de s’appliquer sur les contenus et les choix des personnes. Ce qui fait la force du festival est justement cette liberté absolue.
Comment se déroule concrètement le festival et qui compose le jury ?
Il y a deux parties. Une partie compétition et une partie hors-compétition. En compétition, on trouve 13 livres et 13 films. C’est une nouveauté cette année, nous avons ajouté un jury en plus du comité de sélection qui, réuni à Perpignan, remettra les FILAF d’or et la mention spéciale du jury le samedi soir. Le jury cette année sera composé de Fabrice Hergott, responsable du MAMVP, de Guillaume Houzé de la Galerie des galeries, Xavier Canonne du musée de photographie de Charleroi et du photographe, réalisateur et producteur Pierre Thorreton.
Quels sont les critères de sélection des livres et des films ?
Ce ne sont ni le livre ni le film d’artistes que l’on cherche. On a choisi de ne pas traiter du tout du livre ou du film à la limite de l’œuvre d’art. Nous travaillons spécialement sur des éditions courantes, des livres abordables, on exclut simplement les rééditions et les traductions. Nous recherchons un véritable travail d’écriture. La sélection en compétition est composée de livre et films choisis par le comité selon différents critères : d’abord il faut que le sujet n’ait pas été traité de manière récurrente ces derniers temps. Ensuite nous exigeons une certaine qualité de traitement du sujet (pertinence, documentation), de même, nous nous attachons à la capacité de l’ouvrage à vulgariser, nous ne souhaitons pas de livres pour une chapelle ou uniquement pour les chercheurs. Enfin, la réalisation de l’objet et la qualité de sa présentation entrent en compte. Mais en général, les quatre critères vont ensemble. Quand on réussit quelque chose d’un point de vue théorique, le reste suit.
Qui retrouvera-t-on sur place ?
En plus de notre invité d’honneur, Nathalie Heinich, principalement les auteurs parmi les livres sélectionnés qui, pour plus de la moitié d’entre eux, sont étrangers. Il y aura par exemple Saul Bass, qui était designer graphique et qui a fait de nombreux génériques des films de Hitchcock, de Kubrick, ces dessins animés qui prennent des formes géométriques. C’est la première monographie qui sort sur lui, écrite par Jennifer Bass et Pat Kirkham. Ce dernier viendra ainsi présenter le livre au cours d’une conférence à destination du grand public, ce qu’on précise à tous les auteurs participants. De même, on retrouvera des auteurs ou réalisateurs tels que Dietmar Elger pour son livre Gerhard Richter : Landscapes, Christophe Leribault pour son livre Fantin-Latour, Manet, Baudelaire : L’hommage à Delacroix, Catherine Meyburgh pour le film In Conversation with William Kentridge & Marlène Dumas ou encore Patrice Joly et Bruno Peinado à l’occasion de la sortie d’une monographie de ce dernier. Pour les spectateurs, c’est également l’occasion, pendant plusieurs jours, d’avoir un accès aux meilleurs livres et films parus dans l’année.
Vous évoquiez dans les critères de sélection la « capacité d’un livre à vulgariser », le but est plutôt d’avoir une monographie lisible qu’une introduction aplanissant les problèmes en un grand tout ?
Absolument. Par exemple, un des livres sélectionnés dans la catégorie cinéma sur Fritz Lang est emblématique, le travail abattu est impressionnant et, selon un des membres du comité de sélection, on ne pourra pas sortir de meilleur livre sur Fritz Lang avant longtemps. C’est ce genre d’ouvrages qu’il faut mettre en avant, ceux qui font date. Il faut bien reconnaître que le milieu de l’art contemporain est noyé d’ouvrages douteux, on peut dénombrer des dizaines d’introductions à tel ou tel sujet, et souvent les mêmes auteurs proposent les mêmes textes de façon différente. C’est contre cette aura mystique qui encourage les éditeurs à publier des livres qui sont des illusions de « vulgarisations » que nous nous plaçons. Le meilleur moyen, selon moi, pour connaître un domaine de l’art, est de se plonger directement dans une monographie autour d’un artiste, de se plonger dans son univers, dans son contenu. Je pense que le festival joue son rôle s’il fait des choix subjectifs ; mais il faut absolument maintenir une vraie rigueur, faire en sorte que chaque choix soit expliqué de façon argumentée et puisse être compris et cohérent.
FILAF, Festival international du Livre d’art et du Film à Perpignan du 28 juin au 1er juillet. En savoir plus