Entretien — Wim Delvoye
Après Tony Cragg, c’est au tour de Wim Delvoye, sacralisé il y a plus de dix ans par sa machine à caca Cloaca, d’investir le Louvre pour un contrepoint contemporain.
Léa Chauvel-Lévy : Vous faites intervenir Tim (un homme dont le dos est tatoué, se tient immobile dans un des salons ndlr), vous ne vouliez pas que de vrais cochons investissent les salles du Louvre ?
Wim Delvoye : Non, cela n’aurait pas été possible ! Mais de toute façon je ne le souhaitais pas. Je propose ici des cochons, mais en tapisserie, en tissu. Vous savez, j’ai déjà reçu les médailles de la provocation en réalisant Cloaca. Je m’intéresse à d’autres choses maintenant.
Votre travail ici est très technique, anamorphoses, peinture émaillés sur porcelaine, acier découpé au laser, maquettes gigantesque de cathédrales gothiques… Est-ce un besoin de vous démarquer catégoriquement du minimalisme dont vous ne dites que rarement du bien ?
C’est vrai, j’ai toujours détesté le minimalisme… C’est génétiquement un ennemi naturel pour moi. Je ne trouve pas ça généreux. C’est avare. C’est terrible même… Comment cela a-t-il pu durer tant années ? Ici, au Louvre, viennent des gens du monde entier, ce ne sont pas les monochromes de Rothko qu’ils recherchent. Ils aiment les tapisseries, ils adorent !
L’architecture est devenue un centre névralgique de votre création, est-ce que vous faites une différence entre art et architecture ?
Vous savez, en arabe, c’est le même mot. Au Moyen Âge, les gens commandités pour bâtir les cathédrales étaient de grands orfèvres qui travaillaient divinement l’argent. Il y avait une compétition énorme entre les villes. Art et architecture étaient intimement mêlés. Strasbourg regardait l’Angleterre… C’était une période formidable, dans un sens c’était le printemps de notre culture. Pour moi, l’histoire est une affaire de botanique, on est à l’hiver de notre culture, le XXème siècle ayant été l’automne. J’adore réfléchir sur le style gothique car je le trouve frais et dynamique, comme le printemps. C’est un thème qui revient souvent dans mon travail le déclin de l’occident. Je le vois comme une période hivernale.
C’est une forme de pessimisme, non ?
Non, disons que je n’ai pas de bonnes nouvelles pour l’Europe et les États-Unis, mais je ne suis pas pessimiste. Je me rends compte que l’on vit une étrange période. J’ai un exemple à vous raconter, je travaille beaucoup depuis 2004 avec les Chinois, des vétérinaires, des artisans qui savent creuser les pneus que je présente ici (pneu sculpté à la main), des tatoueurs également. Pour les remercier, en plus de les rémunérer pour leur savoir-faire, je les invite en Europe. Vous ne pouvez pas vous imaginer l’humiliation qui règne dans les ambassades belges, on accuse ces gens cultivés, riches pour certains, de ne pas vouloir retourner dans leur pays une fois leur séjour européen terminé… Croire que les Chinois sont tous des pauvres à la recherche d’un asile est une idée que je trouve dure !
Vous parlez souvent de la nécessité de l’artiste d’être polyvalent, à la façon de Léonard de Vinci, est-ce que vous vous reconnaissez dans le mouvement humaniste ?
Oui. Mais aujourd’hui, il s’agit d’un humanisme de l’ordinateur. Tout le monde peut devenir expert avec Google et Wikipédia, c’est une révolution digne de Gutenberg. Personne ne contrôle la vérité. J’habite en Belgique, c’est vraiment en périphérie du monde, mais je garde les yeux ouverts.
Vous menez une réflexion sur la religion, expliquez-nous ce qui vous intéresse en elle ?
On va au musée comme on va à l’Église, on s’oblige, on y va sans forcément comprendre. À Londres, c’est le samedi. Regardez autour de vous, les gens hochent la tête devant des toiles qu’ils ne comprennent pas, comme s’il y avait obligation à comprendre ou à voir. Moi je fais de l’art en restant agnostique. La seule croyance que j’ai est qu’il faut faire, refaire et toujours recommencer pour se faire artiste. Entre l’idée d’une œuvre et sa matérialisation, il y a parfois quatre ans, voire plus. C’est le cas pour La Chapelle en acier corten coupé au laser (dans la salle d’Anne de Bretagne, ndlr). La technique du laser n’était pas encore à la pointe et la résolution était trop haute, aucune machine ne pouvait réaliser un tel travail. Il faut parfois attendre. C’est pour cela qu’au début je ne me décide jamais sur les échelles de mes maquettes. Je travaille sur ordinateur, cela me permet de rêver.