Louidgi Beltrame — Crédac, Ivry-sur-Seine
Au Crédac, Louidgi Beltrame, connu pour son travail autour des illusions, de la valeur et des impasses du modernisme, se plonge au cœur du Pérou aux côtés des huaqueros, ces fouilleurs de tombe qui déterrent les vestiges de sociétés précolombiennes.
Rien de moins sérieux pour autant et l’investissement, quand il ne s’agit pas de dévotion, des huaqueros offre un miroir passionnant et riche à la rationalité classique. Face à la mobilisation du groupe, à la planification systématique, leur recherche affirme le pouvoir de la main, de l’instant et donne sa place à l’aléatoire, à l’imprévisible, à l’irrationnel. Une économie à l’œuvre au sein même de l’exposition. Économie des mots et économie des formes qui invite à la contemplation, à glaner là ce qui, pour chacun de nous, fait sens ou interpelle.
Les plans fixes des vidéos silencieuses (dont une version accompagnée des témoignages est visible en fin de parcours) font durer le temps et reflètent la mesure de l’effort autant que l’immensité du champ de recherche. Les vanités qui leur font face disent beaucoup de cette langueur et de la souffrance qu’elle engendre ; une telle pratique menace chaque jour leur vie autant qu’elle les relie aux traces de ces morts qui les ont précédés. Comme des tentures, le simple papier abstrait le centre d’art de sa réalité industrielle en occultant ses vitres caractéristiques pour en faire un espace énigmatique encourageant à la réflexion, à la déambulation sensorielle au gré des variations de variations lumineuses des vidéos. Les paysages fabuleux, rugueux et intensément statiques portent cette histoire silencieuse d’un présent que Beltrame met en scène avec sensibilité.
Rien du spectacle, rien du spectaculaire. Du documentaire objectif, il garde la rigueur et l’investissement pour glisser, à sa manière, vers une perspective au sein de laquelle les impressions sont seules maitresses. Sans dogmatisme et sans moralisme, il articule un point de vue face aux témoignages des protagonistes de ces films, riches d’une somme d’expériences incommensurable et terriblement factuels. Les corps, éprouvés, ne sont ainsi jamais mis en question, les conditions rarement déplorées ; comptent les actes, les gestes et les pièges à éviter. Loin de la logique du pilleur et de la fouille, c’est presque ici une attention curative, l’extraction de pièces encombrant ces étendues minérales qui appelleraient les « huaqueros » après la prise de coca et de tabac. Une pratique médiumnique qui s’inscrit dans la perception locale de l’espace, empreint d’une âme qu’eux seuls peuvent déchiffrer.
En mettant la focale sur cette pratique, le travail de Beltrame s’investit d’une science de l’observation et livre un document passionnant autour de relations que la rationalité occidentale se trouble de comprendre. Ici, la fouille se double d’une perspective sociale et son effectivité importe plus que son efficacité. Trait d’union entre les populations locales et les vestiges d’un passé englouti par le temps, ces fouilleurs travaillent la terre dans un rapport sentimental qui contribue à écrire l’identité de ce lieu.
Le creux, la faille deviennent ainsi les thèmes centraux de cette présentation. L’écoulement du sable qui donne son nom à la larme de la huaca recouvrant au final la possibilité même de systématiser ces méthodes locales, le vide devient plein de son absence. En résonne un écho conceptuellement passionnant dans les peintures de l’artiste (même si moins convaincantes formellement) où les lignes s’étirent autour d’un vide central.
Le même vortex qui aspire ces vies, souvenirs et vestiges qui s’insèrent dans une boucle temporelle vouée à se répéter. Hors du temps et enserrant le spectateur dans le présent, l’installation d’une trentaine de photographies représentant des gravures sur pierre de la seconde salle d’exposition joue à plein cette plongée psychique au sein d’un monde de signes et de symboles qui frappe par sa diversité et son évidence. Comme à l’époque de leur réalisation, infiniment lointaine ou plus proche, le minéral accueille les gestes de l’homme, garde en secret les traces de son expression et le paysage, l’environnement, se fait moteur d’un artisanat polymorphe, créateur et excavateur, proposant par là une relation singulière de celui-ci à son environnement. Remontant jusqu’à la préhistoire, leur âge n’importe que peu et s’insère dans le quotidien de ces hommes qui, depuis des dizaines d’années vivent ce présent. les traces de l’histoire, à travers le minéral, se conjuguent à l’histoire biologique.
Une boucle temporelle concrète que permettent d’apprécier ce regard de l’artiste, autant que la scénographie discrète du Crédac, participant à l’invention d’une forme singulière d’étude dans l’accompagnement et la proximité qui concentre ses effets sur des manières de connaître plus que des contenus de connaissance, des façons d’apprendre plus que des leçons.