Panorama 02/12
Véronique Ellena, Invisibles ••
« Invisibles » certes, ces hommes et ces femmes qui habitent les interstices des bâtiments, mais les stigmates de leur présence restent et Véronique Ellena parvient à capter cette population qui habite la ville, habite l’imaginaire collectif d’une société incapable de rattraper ceux qu’elle rejette. En douceur, elle photographie ces hommes et femmes qui ne font plus partie du paysage et qui continuent pourtant de le hanter ; laissés à l’abandon, tels ces bâtiments historiques en décrépitude. Sans en montrer le visage, la photographe dévoile la réalité et, en évitant l’écueil de l’ésthétisation pathétique de la pauvreté, Véronique Ellena travaille la conscience, joue avec celle du lieu comme celle du spectateur avec une grâce pudique, offrant un vibrant témoignage de l’architecture autant que des stratégies pour l’habiter, de son appropriation par les corps. — G.B. — Invisibles à la galerie Alain Gutharc du 14 janvier au 10 mars.
Texto de Sala ••
Avec Texto de Sala, la galerie Crèvecœur propose une véritable réflexion sur l’idée même de la galerie, sur le rapport de l’artiste à cet espace d’exposition, sur ce que la galerie même a encore à dire, en quoi elle fait sens. Et les trois artistes invités s’y prêtent avec un beau talent. Sur le fond sonore d’Alex Reynolds, le visiteur traverse une galerie réinventée par ses artistes, croisant la très belle sculpture de Jorge Pedro Nunez, Chambre avec vue, qui semble s’être nourrie elle-même des murs de la galerie autant qu’elle en défend le passage. Gabriel Sierra, lui habille les murs de ses robes de cimaise, redessinant l’espace de déambulation du visiteur. « Espace d’exposition de l’espace », Texto de Sala fait parler les murs, travaille géographiquement les conditions de possibilité d’une exposition. Et les trois œuvres présentées sont autant de propositions questionnant leur propre moyen d’exposition, la place accordée à l’artiste au sein de la galerie. — G.B. — Texto de Sala à la galerie Crèvecœur, du 27 janvier au 03 mars.
Christoph Weber ••
Parfaitement en phase avec l’aspect brut de l’espace d’exposition, la proposition de Christoph Weber trouve chez Jocelyn Wolff, un écho bienvenu pour entrer dans son œuvre. Habitué de l’utilisation des matériaux voués à l’érosion du temps, Christoph Weber utilise, pour cette exposition, uniquement le béton. Jouant alors sur ses possibilités, sur sa capacité plastique autant que sur son esthétique brut, Christophe Weber présente des œuvres étonnantes faites d’interactions de matières, de maîtrise artistique et de rencontres inattendues. Ici, les pièces massives côtoient les ensembles les plus fragiles, le béton brut se mêle aux stratégies formelles de l’artiste pour reconfigurer son matériau. Ambiguës et complémentaires, les pièces de Christoph Weber questionnent l’œuvre d’art elle-même autant que la pratique de la matière et peuplent une exposition définitivement habitée. — G.B. — Christoph Weber à la galerie Jocelyn Wolff du 14 janvier au 10 mars.
Sol LeWitt •
Malgré le peu de pièces présentées, l’exposition consacrée à Sol LeWitt par la galerie JGM offre deux entrées parallèles dans l’œuvre de l’artiste qui permettent de saisir l’étendue du champ couvert par sa technique avec la mise en regard de la sculpture et de ses peintures. Oeuvre emblématique de sa démarche conceptuelle, 2 3 2 1 (Cross) (1980), présente une structure minimale réalisée selon la règle fixée par l’artiste qui vient dialoguer avec ses peintures et gouaches qui dessinent une variation systématique des motifs. On se plaît alors à voir dans la sobriété de l’exposition et dans l’absence de tout artifice un hommage respectueux au projet de LeWitt. — G.B. — Sol LeWitt à la JGM. Galerie du 20 janvier au 10 mars.
Peter Kogler •
Poussée à son paroxysme, l’esthétique de Peter Kogler est ici déployée sans retenue. Transférant sur toile ses créations visuelles, l’artiste continue de jouer avec ses figures obsessionnelles. Moins ambitieuses que ses monumentales installations, les pièces présentées ici reprennent les codes d’une création riche qui a toujours su manier la répétition du motif. La mise en parallèle avec l’exposition de Sol LeWitt présentée conjointement n’est pas sans éclairer le travail de Kogler. Et si l’esthétique de l’artiste, particulièrement mise en avant avec son utilisation du format « tableau » peut déconcerter, l’exposition a le mérite de cerner la cohérence de la démarche d’hybridation de l’organique au numérique systématique chez lui. — G.B. — Peter Kogler à la JGM. Galerie du 20 janvier au 10 mars.
La Décadence
Avec un tel titre, difficile d’attendre de l’exposition collective organisée chez Yvon Lambert autre chose qu’un objet « branché », faussement introspectif et maladroitement ironique. Malgré la très belle entrée en matière avec les autoportraits de Douglas Gordon sur miroirs, la révolte stylisée et « minimalo-trash » orchestrée par Gardar Eide Einarsson qui suit a des allures d’anarchie à dessous chics, parfaitement « marketée » pour l’époque. La foire chirurgicalement esthétisée continue avec la pièce de Loris Gréaud, proposant ici un monument vide de sens. Ses viscères d’animaux, qui ne sont pourtant pas sans intérêt, se noient ainsi dans cette installation au design plus proche de la vanité que de la décadence. Le clou du spectacle est atteint dans la dernière salle qui voit un Francisco Vezzoli « s’esthétiser » à outrance, arguant humour et parodie pour ne toucher finalement que déjà-vu et ironie « branchée ». Pour toute subversion un véritable miroir aux vanités. La décadence, ici, tient plus à la croyance que ces œuvres flatteuses d’intérieurs design ne constituent pas autre chose qu’un decorum inoffensif de l’art contemporain bon ton. — G.B. — La Décadence à la galerie Yvon Lambert du 27 janvier au 25 février.
Philippe Ramette
On a beau connaître l’œuvre de Philippe Ramette, louer sa drôlerie, son inventivité, sa capacité à avoir su renouveler sa démarche avec une belle intelligence, difficile de défendre cette dernière exposition chez Xippas. Principalement constituée de dessins simplistes, cet hommage à la ligne claire déçoit ; l’incroyable capacité de l’artiste à complexifier le monde autant que sa propre pratique disparaît ici dans ces allégories faussement décalées qui peinent à faire sourire. Sans prise sur le monde, l’œuvre est devenue ici une simple idée cocasse, un burlesque inoffensif qui ne parvient pas à soulever le moindre sens. Seules ici ses sculptures, et particulièrement celle suspendue au plafond, conservent leur intérêt, mélangeant lissage des formes à un hyperréalisme inattendu. Et ce n’est malheureusement pas le portrait tragi-comique final, sculpture hyperréaliste célébrant la dualité par un biais finalement assez attendu qui relèvera le niveau de cette exposition. — G.B. — Philippe Ramette":/evenements/philippe-ramette à la galerie Xippas du 4 février au 31 mars.
Dorothée Smith, Hear us marching up slowly •
Malgré une première partie qu’on pourra trouver moins intéressante, la première exposition de Dorothée Smith est une réussite ; elle offre une entrée pertinente dans l’œuvre d’une photographe qui s’attache à capter toute la mélancolie, toute l’ambiguïté de sentiments complexes sans en appuyer le drame. Documentaliste du silence, l’artiste joue de l’ambiguïté du sexe comme de l’ambiguïté des formes, et parvient, dans cette brume délicate, à faire vivre des images hors du temps. — G.B. — Hear us marching up slowly à la galerie des Filles du calvaire jusqu’au 25 février.
Leandro Erlich et Ann Veronica Janssens, In_Perceptions ••
L’exposition n’usurpe pas son nom. De « perception » en effet, il s’agira. Face aux installations des deux artistes Leandro Erlich et Ann Veronica Janssens, tous deux rompus à la création plastique comme source de vertige sensoriel pour son public, et profondément tournés vers une forme de création participative, le « regardeur » n’a d’autre choix, que de rentrer dans l’œuvre, y marcher, s’y noyer, et la surplomber de sa hauteur d’homme. Puis, il l’aime ou il la quitte, s’il le peut d’ailleurs… Car les jeux de miroirs, les trompe-l’œil ou encore l’épais brouillard rouge et gris diffusé comme un fumigène plus métaphysique qu’anxiogène, l’empêchent bien souvent de trouver la sortie. Une expérience synesthésique qui hante et agit comme un vertige. — L.C.-L. — Leandro Erlich et Ann Veronica Janssens, au 104, Espace Aubervilliers du 28 septembre au 4 mars 2012.
Mathématiques. Un dépaysement soudain ••
Il est d’abord permis de fuir, tant l’entrée en matière semble ardue. Une rotonde dans laquelle les visiteurs sont invités à s’allonger, présente un florilège de citations et de (trop) longs extraits d’ouvrages emblématiques de l’évolution de la pensée scientifique, de Platon à Darwin. Passionnant dans une bibliothèque mais qui n’a pas nécessairement sa place dans le cadre d’une exposition, sensée de surcroit tisser des liens entre les arts plastiques et les mathématiques. Puis, et c’est heureux, le parcours commence. Plongée fascinante dans l’interprétation plastique du langage mathématique qu’en ont David Lynch, Raymond Depardon ou encore Patti Smith. Bien sûr, la dimension esthétique est parfois anecdotique, trop illustrative. Mais le discours sous-tendu est éloquent et le parcours passionne : scientifiques et artistes explorent les objets du monde et posent sans fin en images ou en nombres la question de l’origine. — L.C.-L. — Mathématiques, un dépaysement soudain, à la Fondation Cartier jusqu’au 18 mars 2012.
Le sentiment des choses ••
À contresens des écoles et des modes, le projet d’Élodie Royer et Yoann Gourmel assume jusque dans son titre cette approche inédite de l’histoire de l’art. Le sentiment des choses laisse place au participatif, à la véritable interaction avec l’essence de l’exposition, celle-là même qui pousse l’objet hors de sa compréhension initiale, qui bouscule le code et l’attendu pour rappeler qu’une idée ne peut naître que de la rencontre ; celle de l’objet avec un nouvel environnement et, par extension, celle du visiteur avec cet environnement. — G.B. — Le sentiment des choses au Plateau jusqu’au 26 février.
Au loin, une île ! ••
Les grandes expositions se reconnaissent à ce fait qu’elles incarnent autant qu’elles créent leur thème. Plus qu’un simple projet de mise en valeur de la scène britannique, c’est une véritable mélancolie enfin libérée de son mutisme qui se fait jour dans Au loin, une île !, et qui redéfinit par là même à nouveaux frais le romantisme contemporain. — G.B. — Au loin, une île à la fondation Ricard jusqu’au 11 février.