Pas un jour sans une œuvre — Programmation en ligne de la galerie Loevenbruck, Paris
Slash-Paris soutient et partage les initiatives de galeries désireuses de maintenir leur rôle de diffuseurs de la création artistique. En collaboration avec la galerie Loevenbruck, nous accueillons le projet Pas un jour sans une œuvre qui revient chaque jour sur le travail d’un de leurs artistes accompagné d’une note de présentation d’un acteur du monde de l’art.
A travers des pastilles quotidiennes diffusées par mail, la galerie Loevenbruck rythme cette période qui nous tient loin des cimaises tout en maintenant un lien passionné avec des œuvres emblématiques d’artistes qu’elle représente depuis des années. On retrouve ainsi, au hasard des jours, de grandes noms de la scène française avec Morgane Tschiember, Philippe Mayaux, Dewar & Gicquel, mais aussi des figures qui ont fait et continuent de faire l’histoire de l’art avec notamment Alina Szapocznikow, Michel Parmentier, Gilles Aillaud, mais aussi des icônes qui font l’actualité à l’image de Jakob Lena Knebl ou Ashley Hans Scheirl qui représenteront l’Autriche lors de la prochaine Biennale de Venise. Retrouvez ci-dessous un aperçu non exhaustif de cette belle initiative.
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Arnaud Labelle-Rojoux, Les Clowns, 2017 par Éric Mangion
Arnaud Labelle-Rojoux collectionne les peintures de clown, fétichisme d’une culture populaire. Rien d’étonnant pour cet artiste qui peut passer de Schopenhauer aux Ronettes en un seul coup de polyuréthane. Les petites toiles sont montrées en bande, façon tableaux de maître serrés les uns contre les autres, signe de l’académisme d’époque. Il y en a une soixantaine de plus ou moins bonne facture, glanés ici ou là dans les vide-greniers et, maintenant, sur le web. C’est beau comme un cirque sans soleil. Mais ce qui est encore plus beau, ou peut-être plus touchant, c’est qu’il y en a un isolé, mis en exergue. Le chef, le ravi, l’égaré ? Ce portrait solitaire est issu de la collection de l’acteur américain Vincent Price, surtout connu pour ses films d’épouvante. Il est assis, face à une assemblée de confrères aux « rires et aux pleurs muets ». On pense à Larmes de clown (1924) du cinéaste suédois Victor Sjöström, avec sa scène célèbre d’un cirque uniquement composé de clowns spectateurs et pour acteur l’« homme aux mille visages », Lon Chaney, savant malheureux en amour converti en clown afin de recevoir chaque soir en public une volée de gifles. On pense aussi au fameux Joker, devenu icône, et qui donne à cette collection désuète un visage de notre époque.
Éric Mangion, avril 2020
Werner Reiterer, The Rich and The Poor, 2019 par Julien Robson
Les œuvres de Werner Reiterer évoluent à la lisière du non-sens, jouant sur la proximité étroite entre l’art et la vie pour récuser les représentations littérales du réel. Ses sculptures séduisantes à maints égards mêlent l’art et l’humour pour nous inviter à participer à leur réalisation, tandis que ses dessins bousculent notre conception de la réalité ordinaire par leur fantaisie poussée jusqu’à l’absurde. En brouillant les relations entre langage et image, il arrive à inverser notre point de vue et à réaffirmer, sur un mode à la fois amusant et éclairant, que l’art a le pouvoir de changer notre existence.
Julien Robson in Text(e)s, Paris, éditions Loevenbruck, 2009, p.186
The Rich and the Poor (2019) a été exposée sur le stand de la galerie Loevenbruck pendant la FIAC 2019.
Jean Dupuy, Cone Pyramid (Heart beats dust), 1968, par Éric Mangion
Après une bonne décennie de services rendus à la peinture gestuelle, Jean Dupuy quitte Paris et son école pour s’installer à New York en 1967. L’atmosphère est différente. Une entreprise (Celanese Corporation) lui fait don de 180 plaques de polyéthylène de 200 × 90 × 0,6 cm. Installées dans son atelier, elles attirent constamment la poussière. Épousseter chaque soir n’y change rien. Il décide alors de faire œuvre avec la poussière, non pas en la stockant comme un « élevage », mais au contraire en lui rendant sa légèreté mobile. Il conçoit une boîte dans laquelle un pigment rouge de densité extrêmement faible (Lithol Rubin) s’agite grâce aux pulsations cardiaques d’un visiteur, acteur et observateur de la pièce. Cone Pyramid (Heart beats dust) gagne en 1968 le prix Experiment in Art and Technology organisé par Billy Klüver et Robert Rauschenberg, ce qui lui permet d’être présentée dans la foulée au Brooklyn Museum et, simultanément, par le biais d’une seconde version, au MoMA dans l’exposition désormais mythique The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age organisée par Pontus Hulten .
Éric Mangion, Jean Dupuy, Quatre millions trois cent vingt mille secondes, communiqué de l’exposition au titre éponyme, galerie Loevenbruck, Paris, 2012.
Cette œuvre fait partie du projet d’exposition pour la foire d’Art Basel 2020.
Alina Szapocznikow, Lampe-bouche, 1966-1968, par Arnaud Labelle-Rojoux
« J’en ai parlé ailleurs, autant me citer : « [ces sculptures] revêtent une beauté perverse, érotique, vénéneuse — un côté Fleurs du mal –, sur un mode esthétique empreint d’une bizarrerie hallucinatoire très fin de siècle […] mais revisitée par une culture Pop à la fraîcheur trompeuse. Ainsi les Lampes-bouches tirant vers un décoratif bourgeonnant aux couleurs de sucre d’orge d’une beauté fulgurante n’en sont pas moins marquées d’un humour anxiogène et caustique, un peu à la façon de la plante carnivore de La Petite Boutique des horreurs de Roger Corman gavée de morceaux de corps humains (une main, un pied…). Alina Szapocznikow exploite l’ambivalence de l’intimité, du désir et du dégoût, de l’informe, et de l’insaisissabilité du vivant. Le polystyrène et le polyuréthane, mais aussi la cire, matérialisent par leurs tonalités acidulées, leur transparence gélatineuse ou leur opacité, une fluidité transorganique, produisant, comme le sommeil de la raison, des monstres séducteurs en forme de seins agglutinés, de bouches à l’éternel sourire, de ventres dodus1. » J’avais alors omis, tout simplement parce que je n’y avais pas pensé, de préciser que ces sculptures « éclairaient » : littéralement, et de façon attendue (elles sont intitulées pour la plupart Lampe — Bouche ou Fesse — ou Sculpture-Lampe), mais aussi, plus subtilement, parce qu’elles jettent une lumière acide sur l’obscurantisme tenace qui domine notre monde.»
Arnaud Labelle-Rojoux, « Alina, montrez-nous ce sexe que l’on voudrait ne pas voir ! », extrait du communiqué de l’exposition « Alina Szapocznikow, Œuvres lumineuses », Paris, galerie Loevenbruck, 2013.
1 Arnaud Labelle-Rojoux, « Alina Forever », in Twist Tropiques, Paris, éditions Loevenbruck, et Yellow Now / Côté arts, 2012. Lampe-bouche (1966-1968) figure dans la Collection Pinault.
Morgane Tschiember, Swing, 2012 par Stéphanie Airaud
« Morgane Tschiember, artiste plasticienne originaire de Brest, joue avec la matière, la couleur, l’espace et le mouvement. Elle s’inscrit dans une continuité moderniste pour «twister», tordre les grands principes de l’art minimal. Swing est une installation immersive à l’échelle de l’architecture, dont la souplesse et le rapport au mur des matériaux ne sont pas sans rappeler les sculptures antiform de Robert Morris. Les bandes souples de PVC, suspendues de part et d’autre de l’espace, forment une nef renversée dans laquelle le visiteur est invité à pénétrer. L’œuvre est spécialement conçue pour le volume qu’elle occupe. Elle fut créée, comme l’on dirait d’une pièce chorégraphique, pour la première fois au Centre régional d’art contemporain à Sète, en 2012, à l’occasion de son exposition personnelle Swing’nd Rolls & Bubbles.
Stéphanie Airaud, in Le vent se lève : parcours de la collection, Vitry-sur-Seine, MAC VAL musée d’art contemporain du Val-de-Marne, 2020, p. 178-179. L’œuvre Swing a été acquise par le MAC VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, avec la participation du Fram Île-de-France en 2017. »
Philippe Mayaux, Tableau de mariage — Inclinaison 33 degrés, deux cœurs en 69, 1993
« Deux cœurs qui s’aiment, n’allez pas chercher plus loin la poésie », Victor Hugo
Exposition : Cœurs. Du romantisme dans l’art contemporain, musée de la Vie romantique, Paris, 14 février — 12 juillet 2020
Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Ram, 2012
En 2012, Daniel Dewar & Grégory Gicquel créent une série d’œuvres singulières, 8 gifs animés montrés pour la première fois à Spike Island, centre international d’art contemporain de Bristol. Ces courtes séquences vidéo projetées en boucle mettent en scène des sculptures figuratives en argile, que les artistes ont façonnées en plein air, avant de les animer, image par image, à l’aide de la technique du stop motion. Ainsi Ram, comme Le Menuet, Legs, Bump, Diver, Entrechat, Motorcycle, Ox et Pigs reprennent les motifs tantôt empruntés à l’imagerie populaire, à l’iconographie érotique ou au folklore régional.
Les œuvres issues de cette série figurent notamment dans les collections : Lab’ Bel — Laboratoire artistique du groupe Bel, Les Abattoirs — Frac Midi Pyrénées, Toulouse, Frac Corse, Corte, Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux, Frac des Pays de la Loire, Carquefou.
Robert Devriendt, The Missing Script, Part 2, Through the eyes of David X, 2018 par Josse De Pauw
« Une des premières toiles que j’ai vue était celle d’un carnivore hurlant. La tête d’un carnivore hurlant. Une tête, un nez, un museau, des yeux et une larme. L’histoire m’est venue aussitôt et en même temps la reconnaissance de ce qui rend l’histoire passionnante. L’homme est-il attiré par les histoires? Personnellement, je pense que ce sont les histoires qui sont attirées par l’homme, qu’il en constitue en quelque sorte la résidence, la bâtisse où elles se réfugient. Ces fables, ces chimères somnolent en nous jusqu’au moment où, grâce à un son, une odeur, un goût, une sensation, un mot ou une image, elles se révèlent. Tout comme le feu se retire parfois d’un morceau de bois et se laisse raviver par un courant d’air, un souffle. Donnez moi une étoffe, un interstice, un peu d’air et mon corps racontera le reste. Il en sait bien plus que je ne peux soupçonner et racontera, sans fioriture, ce qu’il a à dire. Ces fragments me sont chers. Ils me laissent davantage d’espace qu’une construction réfléchie qui s’impose à moi et gène mes chimères. Le feu est maintenu dans le bois qui ne le ravive pas. La ruine m’attire parce que l’histoire de cette ruine vit en moi. C’est ce que Robert Devriendt fait pour moi : il me propose de jolis fragments, des lambeaux soigneusement choisis, un interstice. Il est la brise. »
Josse De Pauw, 31 décembre 2007 in Text(e)s, Paris, éditions Loevenbruck, 2009, p.36.