Pierre Ardouvin — Mac Val, Vitry-sur-seine
Le Mac Val accueille du 16 avril au 30 septembre une exposition exceptionnelle de Pierre Ardouvin qui transforme le plateau dédié aux expositions temporaires en un monumental dispositif scénique ouvert qui invite à une déambulation renversante.
Constitué d’un mélange savoureux de ludique et d’intrigue, pour ne pas dire de bizarrerie, ce dispositif s’éloigne des attendus et, plus qu’un sentiment d’inquiétante étrangeté, nous invite à percevoir une obsédante communauté, celle de nos rêves et de nos imaginaires. Une tribune installée attire, promesse d’un spectacle qui ne démarrera jamais, qui est déjà en cours et dont elle-même est un rouage et qui, par définition, fait de nous des pièces indispensables au bon déroulement de ce dernier. Tout est affaire de décor et nous-mêmes en sommes, par l’action de nos corps, un élément essentiel. La lumière, savamment dispensée, choisit ses sujets tandis que les scintillements de l’éclair font osciller l’atmosphère entre souffle de vie et sentiment d’abandon récent, précipité, d’absence de responsable des lieux.
Pourtant, la petite fontaine laisse entendre une respiration régulière et continue, ponctuée de pointes de succion du tuyau d’écoulement. Prises séparément, les installations de l’artiste offrent de véritables cadavres exquis associant des éléments disparates ou complémentaires (arbres sur fauteuil, parasol boules de Noël, lampions agressif autour des lettres formant la célèbre phrase : « Bonne nuit les petits ») qui défient constamment leur logique et interdisent toute interprétation figée. Ici, les images superposées des tableaux se mélangent aux constructions symboliques ambiguës qui, pour certaines, suivent la logique ouverte de la comptine du bout de ficelle (balançoire, accident, dent qui tombe, qu’on arrache, qu’on attache, à un fil qui pend, corde de pendu), offrant avec allégresse et générosité autant de lectures qu’il existera de regards.
Ce condensé de rêves éveillés fracture l’équilibre pour nous projeter dans un monde obscur qui, s’il semble premier temps nous isoler à la seule subjectivité de l’artiste, ouvre une brèche dans cette altérité qui se voit partagée, communiante et « communautarisée » à la nôtre propre. Car loin de tomber dans un vocabulaire commun des frayeurs enfantines ou dans la logique éculée de la fête foraine abandonnée, l’artiste élabore avec Tout est affaire de décor un véritable lexique du rêve persistant où, malgré les réveils successifs, les liens de causalité sont à reconstruire, l’esprit embrumé et conforté par une certaine familiarité, en proie à l’altérité de ses propres souvenirs, vécus ou fantasmés.
Fragments de narrations rêvées, les pièces de Pierre Ardouvin font montre de leur bizarre résonance avec notre culture, notre imaginaire, utilisés par l’artiste comme des brèches dans lesquelles aller porter le coup de scalpel à nos sentiments. Ce faisant, chacune de ses constructions et manipulations, à la manière d’une expérience à échelle humaine, nous projette au cœur de son dispositif ambivalent, salle de spectacle dont nous sommes témoins et acteurs, confrontés à des pièces qui sont autant d’activateurs des sens et de l’émotion. Car c’est une constante avec Pierre Ardouvin, chaque matière employée, chaque forme évoquée participe de la construction d’un genre d’affect singulier, élément qui, à travers les sens, trouble notre sensibilité et nous exhorte à manipuler mentalement ces jouets qu’on rêve de prendre à pleine main, de s’approprier pour les conjuguer à notre espace de préhension imaginaire. De sa forme outrancière développée dans cet immense décor, la représentation se mue en un spectacle invisible des imaginaires en ébullition et retrouve finalement toute l’ambiguïté de sa définition.
En tordant ainsi le réel, Ardouvin se fraye des passages au gré des ouvertures et des associations pour réinjecter et refléter la « représentation » dans sa source même, partout où elle peut naître, au sein de nos propres espaces mentaux. Mélancolie, nostalgie, inquiétude et bonheur, s’y poursuivent et luttent, emmêlant la claustrophobie au charme délicat du minuscule et imposent une bascule de la sensation qui fait de chacune de ses créations une tumeur affective qui s’instille en nous, pour finalement se muer en un agent actif.