Stéphane Thidet — Collège des Bernardins
Avec Solitaire, Stéphane Thidet, propose au Collège des Bernardins une installation d’une beauté fragile et éloquente qui tient de la vision. Que l’artiste a eue, et qu’il nous offre. Un paysage intérieur qui prend à merveille place dans cet ancien lieu de culte, la sacristie, plongée dans le noir et inondée. L’artiste répond à nos questions.
Léa Chauvel-Lévy : Cette installation présentée au Collège des Bernardins, est-ce un prolongement d’un travail précédent ?
Stéphane Thidet : Oui, j’ai été invité à la Biennale industrielle de l’Oural en Russie où est apparue ma première volonté de dessiner sur l’eau. La question de savoir comment une surface tendue pouvait devenir une surface dessinante s’est à ce moment-là posée à moi. Mais même si je reprends cette idée, les deux projets sont, je pense, très différents.
Comment se matérialisait cette idée de surface dessinante ?
« Solitaire : Stéphane Thidet », Collège des Bernardins du 1 avril au 10 juillet 2016. En savoir plus J’avais inondé une cave et fait réaliser une grande faux de paysan par une usine industrielle restée assez artisanale, en Oural. Cette faux tournait rapidement sur l’eau et un cercle se formait et se dessinait sur l’eau. Cette première étape se poursuit ici, au Collège, mais pour cette nouvelle installation, je souhaitais un dispositif lent et silencieux. Ce qui, évidemment, est idéal et rendu possible dans ce collège désacralisé, anciennement lieu de culte voué au silence. Les souches que vous voyez, suspendues, pourraient s’apparenter à des os. C’est évidemment lié au lieu, à cette sacristie qui n’est pas sans évoquer les ossuaires.Les souches évoquent des os, mais aussi des fantômes, quelle image souhaitiez-vous produire ?
J’ai eu une vision ; un lac de cratère, une pente abrupte et inquiétante, éclairée par des phares de voiture. Avec l’idée sous-tendue que l’eau est une masse et que la perception n’est pas que sur le dessus des choses, qu’elle gagne aussi le regard par en-dessous. C’est le cas pour tout. On ne perçoit pas les objets par leur surface mais par leur intégralité. Il s’agit d’une fine couche d’eau ici, mais elle a son poids. Chaque objet a une aura propre qui dépasse le regard qu’on peut porter sur sa surface. La réalité nous arrive avec sa matérialité, je suis sensible à ce que dégage une chose. Un tronc d’arbre creux ne dégage pas la même chose qu’un tronc d’arbre plein par exemple.
Cette installation paraît non théorique et s’offre effectivement comme une image.
Je suis très loin de la théorie. Mais néanmoins avec Gaël Charbau qui est commissaire, nous avons rapidement évoqué les machines célibataires de Marcel Duchamp. Les forces autonomes qui s’auto-cloisonnent et l’autonomie du mouvement. Ici, il y a une impossibilité que ces deux bouts de bois se rencontrent alors qu’ils partagent une proximité et un même espace.
Ces compas imparfaits qui ne se touchent jamais, d’où viennent-ils ?
Je voulais travailler avec des arbres qui ont été récupérés sur le littoral méditerranéen et qui avaient flotté longtemps sur l’eau. Je voulais qu’ils soient encore marqués par la trace d’une tempête. Ces souches ne sont pas mortes, elles sont comme minéralisées, comme arrêtées dans leur forme. Techniquement celles-ci sont mortes, mais je ne les considère pas comme telles. Il y a une tension entre la vie et la mort en elles.
Elles ne paraissent pas lourdes non plus.
Oui, je voulais que l’on oublie leur masse, les rendre légères, aériennes alors qu’elles font 150 kilos chacune. Leur redonner de la légèreté après ce voyage immergé. J’avais envie de les surélever, qu’elles puissent effleurer l’eau et s’en extraire. Ce geste de les sortir de l’eau était presque les sauver.
Les maintenir à la surface pour qu’elles puissent dessiner sur l’eau ?
Oui, m’attacher à des éléments infimes que ces souches pourraient générer et notamment aux dessins qu’elles allaient tracer sur l’eau et qui allaient se projeter sur les pierres du mur. Je voulais que les choses soient fragiles, dans un état latent. Le bois, en caressant l’eau, crée des zones de micro-turbulences qui, par la lumière, se reflètent sur la pierre et la lumière sur la pierre se renvoie aussi sur l’eau. Je voulais approcher cette fragilité de la lumière et, par extension, toucher la fragilité d’une image.
Une image qui paraît être toujours la même mais qui est absolument changeante.
Oui, qu’il y ait une impression que le temps s’étire et s’allonge, dans l’immuabilité d’une image mais en même temps que tout puisse donner l’impression de pouvoir s’écrouler. Cela me fait penser à une chose étonnante : le fait d’offrir des fleurs qui faneront un jour. Dans ce don, il y a la croyance que cela ne mourra jamais, en même temps que la conscience de sa disparition.
Serais-tu d’accord pour dire que cette installation est très symbolique ?
Oui je joue avec ! Une de mes pièces est intitulée « passeur », c’est très explicite. Avec ces fantômes là, cette masse noire, cette surface sombre et inconnue, je suis bien sûr dans le symbole. Pour expliciter les choses, je trouve qu’il y a de la beauté dans la mort. C’est un territoire où je vais chercher et, dans le paysage créé ici, se logent bien sûr des questions personnelles sur ces grands universaux.