The House of Dust by Alison Knowles — Cneai, Pantin
Pour l’inauguration de ses nouveaux locaux à Pantin, le Cneai propose du 10 septembre au 19 novembre une exposition centrée autour de la figure d’Alison Knowles, artiste majeure des années 70 qui explore depuis lors les questions de l’habitat et de la communauté.
Un mouvement proche finalement de ce projet mené par le Cneai qui délocalise l’ambition d’Alison Knowles du New-York puis Los Angeles de la fin des années 60 au Pantin du début du XXIe siècle. Un saut organique qui voit ainsi 18 artistes confronter au jeu du hasard de la génération poétique informatique la nécessité historique de leur pratique. Car dans tous ces projets, c’est la question de la traduction qui semble à l’œuvre : non pas une simple interprétation mais la transposition, dans une autre langue, dans un autre registre ou dans un autre contexte d’un fragment du poème d’Alison Knowles qui va s’en faire reflet et prolonger ainsi une communauté de faits. Une problématique chère aux initiateurs du projet, Sylvie Boulanger ainsi que Maud Jacquin et Sébastien Pluot, fondateurs du collectif Art by Translation.
Dans le très impressionnant espace d’exposition de ses nouveaux locaux de Pantin, le Cneai déploie une multitude de propositions qui questionnent et prolongent le geste d’Alison Knowles, le réactualisent et inscrivent sa problématique dans le présent. Des œuvres, installations ou performances qui sont autant de formes, médiums et démarches qui, dans leur réunion même, reflètent la question de la cohabitation, de cette idée d’un foyer commun au sein duquel les possibles s’entrecroisent, portant avec eux leur propre possibilité d’un monde à habiter. Car d’emblée, ce qui frappe avec cette exposition est la puissance de l’agencement scénographique au sein d’un lieu précisément complexe à agencer. Immense plateau dégagé, il accueille une somme considérable d’objets, artistiques ou non, qui se frottent, se masquent et se confondent. Avec des réussites esthétiques et conceptuelles telles que l’architecture mobile et aérienne de Yona Friedman, la force plastique historique de la relecture des travaux de Peter Eisenman d’Aurélie Pétrel en passant par l’incongrue beauté d’un rideau gonflable imaginé par Bona-Lemercier, le parcours est d’abord un jeu de formes délicieux qui dessine dans l’espace des frontières ambiguës et communicantes.
De nombreuses propositions se vivent également comme autant d’invitations à participer à une recherche, à contribuer à la mise en place d’un dispositif, à l’image de la maison d’édition miniature et fonctionnelle de Dieudonné Cartier qui produit des ouvrages théoriques à acheter au poids, l’appel à contribution de Lou Maria Le Brusq autour du « conapt », ce néologisme imaginé par Philip.K Dick, conviant chaque visiteur à ajouter ses lignes à une recherche en cours, l’invitation fabuleuse d’A Constructed World au dialogue avec les anguilles du canal de l’Ourcq qui jouxte le bâtiment mais aussi l’expérience de pénétrer un pavillon du thé aux allures de corps éthéré aux dimensions mouvantes de Kengo Kuma.
Mais c’est aussi dans l’absence, dans la discrétion que se joue, sur un temps plus long, une dimension supplémentaire de l’exposition, à l’image du studio photographique comme abandonné de Jagna Ciuchta, qui reviendra pourtant, durant le temps de l’exposition, photographier des œuvres et constituer un corpus qui témoignera de l’évolution de l’installation dans le temps. Mark Geffriaud, lui, poursuit son projet Shelter en usant du temps de l’exposition comme d’une maturation dont il fera usage pour poursuivre la construction d’une maison dont chaque élément dépend des moyens trouvés sur place. En sous-main, la vie des œuvres travaille ainsi, durant toute la période de monstration, les fondations d’une House of Dust qui trouve là une refondation formidable, émancipée de toute velléité d’hommage pour constituer une véritable retranscription.
Émerge alors pleinement la question de la traduction, celle du glissement de l’œuvre d’art vers tous les champs du possible qu’elle embrasse, sa capacité à être « lue » à travers d’autres « langues », d’autres vocabulaires et, partant, d’autres modes d’expression. En ce sens, chaque projet présenté ici transcrit, dans un lexique propre à chaque artiste, la poésie née de l’action d’Alison Knowles en une injonction créatrice, élargissant de fait sa portée à d’autres consciences, d’autres regards.
Car « traduire », issu de la fusion latine des termes _Trans_ : « au-delà » et _Ducere_ : « conduire » c’est aussi déplacer, porter à la vue. Porter à la vue d’autres donc. Si pour toute traduction, il est nécessaire de « vouloir » parler une autre langue, admettre une autre possibilité d’expression et admettre a priori la possibilité pour un autre vocabulaire de s’approprier un contenu de pensée, cette première étape à la frontière de la tautologie est bien nécessaire pour faire advenir « l’autre ». Une considération visible dans l’exposition où chacune des propositions des artistes invités à créer autour du poème, en construisant sa propre maison, érige un foyer, une intimité dans lesquels articuler la pensée. La traduction devient alors, à travers cette invitation à réactiver l’œuvre d’Alison Knowles, un déplacement du centre de gravité pour offrir un îlot poétique, un pavillon dans lequel on pénètre pour mieux concevoir le geste d’un autre.
De la translatio chère aux grammairiens médiévaux qui mettaient en perspective deux contenus de sens partageant un « commun » et faisant de l’un l’ « expositio » de l’autre, The House of Dust retrouve la problématique de la traduction en déployant, dans une multitude de langages, formels et esthétiques, la translation d’un geste poétique en actes de création qui soulignent ce que seule l’exposition permet, faire advenir de la diversité infinie une communauté de regards face à la démultiplication des histoires.