Thomas Hirschhorn — Gladstone Gallery, New York
Thomas Hirschhorn tente, à travers une installation monumentale Fake it, Fake it — till you Fake it. à la Gladstone Gallery de New York de répondre à la question de la création en temps de crise, d’urgence et de remise en cause de toutes les conditions d’humanité dans un monde sous les bombes.
Face à l’ambiguïté, la justification tous azimuts de l’injustifiable, la place de la création est d’offrir un espace qui embrasse ces paradoxes sans sombrer à son tour dans la stratégie de communication. En s’appropriant le fameux adage de la Silicon Valley, « Fake it till you make it », il réenvisage notre propre rapport, médiatisé par les nouvelles technologies, à cette réalité tragique de conflits conclus dans le sang, dans l’indifférence ou, à tout le moins, dans l’impuissance.
Fabriquer et imiter, mais « ne jamais mentir », principe essentiel de l’artiste pour trouver, dans la réinvention, la dimension d’une vérité essentielle. En usant de matériaux propres aux fournitures de bureau (différents scotchs, reproductions sur papiers, carton), Hirschhorn reconstitue un openspace déglingué comme une chambre d’entrée concrète vers le monde virtuel. Si elle reste toujours de l’ordre du décor, du faux, il y accumule et sature l’espace d’informations pour souligner l’absence de sens de notre réalité. La salubrité de l’installation elle-même semble vacillante. Tout s’y délite, implose : un souffle a ravagé son extrémité, une vague menace, sur ses flancs de la recouvrir tandis que perlent du plafond les smileys, manifestations extérieures aussi nécessaires au maintien du système qu’absolument absconses dans leur valeur intrinsèque.
Pour effectif qu’il soit, ce nouvel ordre retourne donc le sens et déploie sa propre logique en subvertissant la valeur de la vie et en se nourrissant de ses contradictions. Au sein de ce système, les intérêts convergent, de l’économie au pouvoir, de la politique à l’éruption de nouvelles technologies, les dimensions forment autant d’écrans entre le passage d’un ordre immatériel et sa concrétisation pour une population qui ne correspond même plus à un item mais de nouveau à une quantité ; la chair à canon.
Concept que Thomas Hirschhorn développe dans sa définition d’un « faux-utopique » par opposition à la dystopie, un régime de réalité qui n’admet jamais sa nature utopique et persévère dans le fantasme qu’il s’est fixé jusqu’à inoculer la réalité elle-même de son absurdité.
C’est ainsi toujours armé d’une humilité militante et essentiellement tournée vers l’implication à venir du spectateur que l’artiste pose le cadre d’une réflexion plastique ouverte. L’erreur, le manque et le biais sont des éléments constitutifs d’une pratique qui s’arrime sur des sensations et l’urgence pour lui de « réagir ». Une tentation de faire pour poser question plus que de réaliser pour imposer sa propre direction qui fait toute la valeur d’engagement de l’œuvre. Les questions prennent alors la place des mantras et slogans qui s’immiscent dans nos imaginaires et les zones d’ombre, les ambiguïtés de cette représentation sont autant d’échappées possibles permettant à chacun de puiser, malgré l’horreur de la réalité à laquelle il renvoie, sa propre liberté.
En cela Hirschhorn souligne la capacité de l’œuvre d’art à user de son décalage pour embrasser la contradiction, intégrer le recul et la possibilité toujours renouvelée de mettre en crise le monde qu’elle investit pour en révéler, chaque fois nouvelle, le danger de l’évidence.
Exposition Thomas Hirschhorn: Fake it, Fake it — till you Fake it., Gladstone Gallery, New York, du 24 janvier au 02 mars 2024 En savoir plus